« Ce jour-là, j’ai aperçu deux silhouettes, Ayyade et Abigaël. J’ai hésité avant d’avancer, toujours ce moment d’attente entre le désir de photographier et la peur d’interrompre. Ils m’ont dit qu’ils venaient souvent là après les cours. »
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Naïma Lecomte. Jusqu’au 4 janvier 2026, l’artiste présente Ce qui borde à Planches Contact Festival, où elle a reçu le prix du jury de la Jeune Création photographique. Pour Fisheye, elle revient sur l’un de ses tirages qui incarne l’essence même de la série : dévoiler les réalités discrètes qui se jouent au bord de la Touques, en Normandie.
Jusqu’au 4 janvier prochain, Planches Contact Festival investit Deauville. À l’instar des précédentes, cette 16e édition propose une multitude de regards sur le territoire normand. Cette année, un thème achève de lier les projets présentés : l’intimité. S’il existe d’innombrables approches du sujet, Naïma Lecomte, l’une des artistes exposées aux Franciscaines, a décidé de témoigner de la vie autour de la Touques dans Ce qui borde. Allant de la source du fleuve jusqu’à la Manche, où il se jette, la photographe donne à voir ses rives et les personnes qui les peuplent. En s’ancrant dans la réalité du territoire, ses moyens formats argentiques sondent notre rapport à la nature et au temps qui passe. La mémoire traverse ainsi son œuvre avec une grande douceur qui a su toucher le jury de Planches Contact Festival. En effet, ce dernier lui a décerné son prix de la Jeune Création photographique. En récompense, elle participera notamment à une résidence à la Villa Pérochon, à Niort. Aujourd’hui, elle nous dévoile les dessous d’une image de sa série primée.
Entre désir de photographier et peur d’interrompre
« Nous sommes en mai. C’est ma troisième semaine de résidence pour Planches Contact Festival. Depuis le début, je longe la Touques, son tracé irrégulier entre l’Orne et la Manche. Avant de partir, je passe du temps sur la carte à suivre le fleuve, à repérer des lieux où me rendre. Je prends le train, le vélo, parfois on me dépose quelque part, puis je marche. Je n’ai pas d’itinéraire précis. Ma seule règle est de ne pas trop m’éloigner de la Touques, c’est elle qui fixe la direction.
Cette image a été faite à Lisieux. J’y suis revenue plusieurs fois. C’est un des endroits où j’ai croisé le plus de monde, au bord du fleuve, là où il traverse la ville avant de reprendre son cours dans les terres. La photo a été prise au sud de la ville, juste avant la zone commerciale. J’étais déjà passée ici sans rencontrer personne. Ce jour-là, j’ai aperçu deux silhouettes, Ayyade et Abigaël. J’ai hésité avant d’avancer, toujours ce moment d’attente entre le désir de photographier et la peur d’interrompre. Ils m’ont dit qu’ils venaient souvent là après les cours. Je les ai photographiés comme je les avais vus d’abord, de loin. Puis j’ai continué à marcher. Le lendemain, je suis revenue. La lumière avait changé, plus lourde, orageuse, le lieu était vide.
Revenir fait partie de ma manière de travailler. J’aime observer un lieu sur la durée, voir comment il se transforme selon l’heure, la saison, les passages. À force d’y retourner, je prends mes repères. Et parfois une scène apparaît simplement, comme le résultat de ce temps passé à marcher, à attendre, à revenir. »