« Si nous regardons la photo de plus près, nous remarquons que son ventre est légèrement arrondi : elle portait l’espoir, elle était enceinte. »
Cette semaine, plongée dans l’œil de Toni Monné Campañà, petit-fils du photographe Antoni Campañà. Jusqu’au 24 septembre 2023, le Pavillon Populaire de Montpellier accueille les images méconnues de la guerre d’Espagne de son grand-père. À cette occasion, pour Fisheye, il revient sur l’un de ses tirages les plus célèbres et nous en révèle les secrets.
« À mes yeux, la photographie la plus représentative de cette exposition est celle de la milicienne anarchiste sur une barricade au carrefour des Ramblas et de la Calle Hospital. On voit cette jeune femme qui sourit avec le drapeau anarchiste FAI CNT [le regroupement des syndicats de la Fédération Anarchiste Ibérique et de la Confédération nationale du travail, NDLR]. Elle a été prise le 25 juillet 1936 qui est un jour de révolution sociale important pour Barcelone. C’est à ce moment-là qu’Hitler et Mussolini envoient des avions pour les troupes franquistes et donnent un avantage décisif aux putschistes. Le même jour, Léon Blum a été forcé par le Parlement français à ne plus approuver la vente d’armes aux Républicains qu’il soutenait pourtant. Ces interventions ont changé le destin de la guerre civile espagnole.
Le 25 juillet 1936 représente donc un moment historique très spécial et ce cliché nous parle de beaucoup de choses. Il faut savoir que les commissariats de propagande de la FAI CNT l’ont énormément utilisé. Il figurait, par exemple, sur une série de cartes postales qui s’appelait La Lutte à Barcelone. Plus tard, on l’a également retrouvé sur Internet, dans des campagnes de lutte antifasciste, anarchiste, pour les droits de femmes… Ce tirage suscite la réflexion, notamment sur l’utilisation d’une photo, sur le moment où le ou la photographe perd le contrôle de son image. Personne ne savait alors qu’elle était d’Antoni Campañà.
À la fin d’une exposition que nous avions organisée pour présenter cette partie de l’œuvre méconnue de mon grand-père au Musée national d’art de Catalogne, un couple français est venu nous voir et nous a dit connaître la milicienne de cette image. Elle s’appelait Anita Garbín Alonso. Elle est née en 1915 à Almería, en Andalousie, et elle est décédée en 1977 à Béziers, où elle vivait en exil. Si nous regardons la photo de plus près, nous remarquons que son ventre est légèrement arrondi : elle portait l’espoir, elle était enceinte. C’est une histoire fantastique, et certainement la chose la plus touchante qui m’est arrivée depuis la redécouverte de ces boîtes rouges. »