Inspirée par sa propre relation amoureuse, l’artiste Sanja Marusic, installée à Amsterdam, compose Eutierria et Before You, deux séries picturales, marquées par sa fascination pour l’art et l’évolution de son couple.
Uniques, les compositions aux couleurs vibrantes de Sanja Marusic ne peuvent qu’attirer le regard. Mêlant corps, formes géométriques, palettes vives, sculptures humaines, peinture et retouches numériques, l’artiste développe un univers reconnaissable entre mille, au cœur duquel naissent des projets intimes. C’est à 14 ans que la photographe d’origine croate découvre le 8e art, grâce au boîtier de ses parents. Trois ans plus tard, elle entre en école d’art et commence à apprivoiser le médium. Aujourd’hui âgé de 29 ans, elle se fit à son intuition pour créer des œuvres graphiques, où les coups de pinceau croisent l’argentique. Un processus demandant une certaine concentration, une tête froide. Alternant commandes et travaux personnels, elle voyage aux quatre coins du monde et s’inspire des paysages qu’elle traverse pour ériger ses toiles photographiques.
Réalisée en 2019, Eutierria se lit comme une lettre passionnée à son époux. Imaginée après leur mariage, la série encapsule leurs déambulations, ivres d’amour, dans un territoire psychédélique. Un an après, Sanja Marusic démarre Before You, un journal visuel bariolé, relatant les transformations de son corps durant sa grossesse. Deux travaux imaginés en écho, chacun faisant l’état des transformations d’une relation, de son avancée vers des profondeurs encore insoupçonnées.
Une invitation à la plénitude
On ne peut nier l’influence picturale présente dans les images de l’auteure. Recouvrant les corps et la nature d’aplats multicolores, Sanja Marusic rend hommage aux arts folks et naïfs – des courants stylistiques ne respectant volontairement pas les règles de perspectives, l’intensité des nuances ou encore la précision du dessin. Placés dans des décors surréalistes et contrastés, ses modèles – elle-même et son mari – déjouent les notions d’horizon et d’échelle. « Je m’inspire beaucoup des peintres polonais, russes et mexicains, ainsi que de la broderie, et des peintures sur objets », précise l’artiste, qui cite, parmi ses périodes favorites, « l’art soviétique des années 1930 ». Une décennie marquée notamment par les affiches graphiques de propagande, et la naissance du suprématisme, puis du constructivisme, deux courants favorisant les figures géométriques et les couleurs primaires.
Car la photographe transforme les silhouettes en formes angulaires. Elle trace sur son ventre arrondi et ses seins des cercles, fait de ses fonds des tapisseries bariolées. Une manière de se fondre dans son univers et ne faire qu’un avec une nature fantasmée – le terme Eutierria, inventé par le philosophe australien Glenn A. Albrecht renvoie d’ailleurs à la sensation de ne faire qu’un avec son environnement. En soignant son esthétique, Sanja Marusic propose, tout comme les artistes russes, une lecture métaphysique de son art. Une invitation à la plénitude. Contorsionnant les corps pour former des êtres hybrides aux membres multiples, l’auteure confie « avoir eu des difficultés à tenir les différentes poses [présentes dans les séries]. C’est pour cette raison que mon visage est, pour la première fois, visible sur mes photos : il exprime une sensation de contrôle, de calme, de confiance. » Une sérénité qu’elle retrouve dans l’application de peinture sur ses images, en postproduction. Splendides, ses œuvres présentent ainsi aux lecteurs deux déclarations d’amour bien distinctes : l’une à son âme-sœur et l’autre à l’art.
© Sanja Marusic