Gérard Rondeau a parcouru la Marne et le monde. Rien que la terre, un récit en quatre temps, revisite des sujets chers au photographe : paysages, guerres, architectures et portraits. Un hommage sublime.
« En tant que photographes, on voudrait collectionner le monde entier, collectionner tous les lieux rencontrés, tous les champs, les chemins et les villes parcourus et on voudrait aussi retenir le temps et collectionner tous les moments de la vie. » Si Gérard Rondeau n’aimait pas les collectionneurs, il partage pourtant leur passion. Depuis le 13 septembre 2016, date de son décès, sa femme Sylvie ne cesse de lui rendre hommage. Actuellement, les images de Gérard Rondeau sont visibles à Paris, à la Galerie Baudoin Lebon et en Champagne, à Reims, Châlons-en-Champagne, Dormans et Ay-Champagne. On y découvre instants de vie et bribes de l’histoire, en France et au-delà. « J’essaye de rester dans son esprit », confie sa femme, une commissaire d’exposition admirative.
C’est dans les paysages plats ou vallonnés de Champagne que Gérard Rondeau a vécu le plus clair de son temps. Et c’est aussi ici qu’est accueilli Rien que la terre, de la Marne au Monde, un parcours d’expositions déployé dans quatre espaces : la Maison du département à Reims, les archives départementales de la Marne à Châlons-en-Champagne, le Mémorial de Dormans et la Villa Bissinger (Institut International des Vins de Champagne) à Ay-Champagne.
Soldats Couchés, Roumanie, 1989 © Gérard Rondeau
Sombres territoires
« Je n’ai jamais dissocié la vie de la photographie », explique Gérard Rondeau, face caméra dans le court métrage Hors Cadre réalisé en 2006 par Bernard Germain. Une conviction qui le conduit à documenter les guerres, aux quatre coins du monde. Kurdistan en 1991, Sarajevo en 1994 ou lieux commémoratifs français au début des années 2000, Rondeau se fait le témoin de batailles plus ou moins lointaines. Et souvent, il suggère la guerre plutôt qu’il ne la montre. Murs jonchés de balles, bâtiments dévastés ou statues commémoratives… Ses images sombres et silencieuses, exposées aux archives départementales, sollicitent notre mémoire et appellent à revisiter l’histoire. « Être photographe, c’est la possibilité de revisiter les champs de bataille, de jeter des ponts entre l’histoire et les hommes », expliquait-il.
Au sein du mémorial de Dormans, le visiteur pourra découvrir de somptueux paysages, allant de la Marne au monde. De grands tirages plongent le visiteur dans les forêts, entre Moscou et Varsovie, au cœur du détroit de Gibraltar ou sur les rivages d’Okinawa. Où qu’il aille, Gérard Rondeau entretient toujours un rapport particulier au temps et à l’espace, bien souvent contrasté. L’usage du flou assombri les horizons et place le regardeur dans une posture de déséquilibre. Mouvement ou contemplation immobile ? Une chose est certaine : « [son] regard est toujours resté lucide et solitaire, se nourrissant de routes qui n’arrivent nulle part, d’architectures ou de décors décalés, de détails et d’inventaires ».
Le Chemin des Dames, France, 2003 © Gérard Rondeau
Plaisir et vagabondage
« J’aime le cérémonial du portrait : sonner chez la personne à photographier, entrer, avoir quelques paroles aimables, et en même temps, appréhender l’intérieur, les lumières, deviner les habitudes, se sentir gêné d’être soudain dans le salon ou dans la chambre de quelqu’un que l’on connaissait par les textes ou par une œuvre, s’excuser d’être indiscret. » C’est aussi à travers ses rencontres que Gérard Rondeau documente le monde. Vingt ans de portraits, vingt ans de belles rencontres. À la Villa Bissinger à Ay-Champagne trônent Cabu, Alain Bashung, Jean d’Ormesson ou encore Louise Bourgeois. Et outre les personnalités, Rondeau a photographié des locaux. Parmi eux, les pompiers à la caserne Chansy, l’un des P-DG du champagne Ruinart de Brimont, ou un ancien directeur des archives départementales de la Marne, Henri Gandilhon. Si la liste de ses modèles n’est pas exhaustive, en voici un sublime échantillon. Rigueur et intimité émanent de ses clichés. « Un portrait a quelque chose de particulier (…) je veux que les gens s’abandonnent », confiait-il durant le reportage.
Berlin, Paris ou encore Tazmamart (Maroc)… Si le portraitiste a parcouru le monde, il a souvent photographié la Champagne, Reims et sa cathédrale. Une fascination étroitement liée à son histoire personnelle, car il a vécu durant dix ans dans la ville. « J’ai habité sur la place Royale, et depuis ma fenêtre, je voyais la place et la cathédrale, confiait-il dans le reportage Hors Cadre, j’ai pris autant de plaisir à photographier depuis ma fenêtre qu’à un autre bout du monde. » Ses architectures sont visibles à Reims au sein de la maison du département.
Avec ses images, Rondeau poursuivait un objectif clairement identifié : amener le spectateur vers un ailleurs, entre le sublime et l’indignation. Il est aussi question d’« interpeller le spectateur sur “la nécessité ou le plaisir de voir”, interroger également la place du “regard” sur et dans le paysage ». Rien que la terre, de la Marne au monde s’impose comme un vagabondage rendant hommage à l’Homme et à son territoire.
à g. Cabu, Châlons-sur-marne, 1986 et à d. Louise Bourgeois, New York, 1993 © Gérard Rondeau
Zao Wou Ki,Paris, 1983 © Gérard Rondeau
à g, le mémorial de Vimy, Somme à d. Bains de Châlons, 2009 © Gérard Rondeau
© Gérard Rondeau