De Rome, tous les chemins mènent à New York

18 août 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
De Rome, tous les chemins mènent à New York

Avec Incorrect Theory, le photographe italien Luigi Cecconi élabore une recherche presque psychanalytique avec ses souvenirs d’enfance. En mélangeant archives, images, sculptures et dessins, l’artiste rêve de s’envoler vers New York – ville utopique, mais symbole d’un idéal en déclin.

New York, la ville de tous les possibles, emblème du rêve américain et objet de fantasmes. Depuis des générations, la grosse pomme attire les jeunes de tous les continents, si bien qu’elle est aujourd’hui la ville la plus cosmopolite du monde. Les rêveurs de tous bords s’y aventurent avec les yeux pleins d’espoir et d’optimisme. Son influence est partout – même dans les quartiers les plus populaires d’Italie. Et c’est dans une des banlieues de Rome, à Corviale, qu’a grandi, dans les années 1990, le photographe italien Luigi Cecconi. L’artiste qui dit être tombé par hasard dans le 8e art après des études dans un institut technique, a toujours puisé l’inspiration pour ses projets dans les souvenirs les plus singuliers de son enfance. « Quand j’étais petit, je rêvais d’aller à New York avec un avion que je fabriquais de mes propres mains. J’étais fasciné par l’image que la télévision diffusait à l’époque. J’étais obsédé par ces familles parfaites, ces sourires, ces gratte-ciels… Alors je les dessinais, encore et encore. Je collectionnais même les timbres en provenance des États-Unis, je les sentais pour connaître l’odeur de l’Amérique », raconte-t-il. Un parfum doux-amer qui hante l’auteur encore aujourd’hui.

Depuis 2017, Luigi Cecconi imagine Incorrect Theory, une série au long cours où le photographe interroge ses souvenirs à travers le prisme du présent. Archives, sculptures, images nouvelles, et dessins se mélangent dans un élan créatif qui frôle l’analyse psychanalytique. « L’enfant que j’étais, totalement inconscient, planifiait son vol, il le dessinait, il prenait des notes. Il avait l’habitude de sauter le plus haut possible, avec ses ailes en papier », poursuit-il. Avec la légèreté de ses fantasmes de jeunesse, le photographe cherche à s’élever dans les airs et s’arracher de sa terre natale. Alors son désir l’a amené à chercher des ressemblances, des reliques de New York, dans les rues de la capitale italienne. « Les États-Unis ont tellement influencé les jeunes Italiens, sans que nous nous en rendions compte », avance-t-il. Le rêve américain ne connaît pas de frontières – il a même transformé les habitudes et les perceptions les plus intimes des jeunes depuis des générations. Métaphores de l’évasion, deux images majeures se retrouvent alors confrontées : l’avion et la ville new-yorkaise. Deux symboles omniprésents, mais finalement fatalistes dans notre imaginaire, car ils évoquent inéluctablement le sort tragique d’un certain 11 septembre 2001. Emblème d’un tournant majeur dans nos esprits, la chute du World Trade Center sonne comme l’indice d’un idéal en déclin.

© Luigi Cecconi© Luigi Cecconi

Un récit bipolaire

Quand Icare s’envole, toujours plus haut vers le soleil, ivre d’espoirs et d’ambitions, il finit par se brûler les ailes. Car, comme pour beaucoup d’autres, l’image utopique de la ville étasunienne s’est peu à peu dégradée dans l’esprit de Luigi Cecconi. Les réalités sociales ont remplacé la quiétude naïve des séries télévisées. Les violences policières ont pris la place des contes de fées modernes. « Au fil des années, le scénario romantique dont je rêvais, rythmé par le jazz, où tout le monde sourit, a radicalement changé. J’étais vraiment bouleversé après le passage à tabac de Rodney King (un Afro-Américain victime de brutalité policière le 3 mars 1991), j’avais environ 11 ans. Tout à coup, j’ai commencé à avoir peur de ce que pouvait arriver aux États-Unis », explique le photographe. Identity Theory se présente comme un récit bipolaire qui tente de démêler, tant bien que mal, les contradictions entre rêves juvéniles, et une prise de conscience difficile. Avec des cadrages serrés, des couleurs froides, et une approche quasi scientifique, l’auteur étudie rigoureusement la variation de ses états d’âme – miroirs d’une métropole en perdition. « J’ai utilisé des matériaux d’archives pour créer un parallèle entre mes recherches et l’époque de mon enfance », poursuit l’auteur.

Au cœur du projet, Luigi Cecconi renoue des liens avec l’enfant qu’il a été – en fabriquant des avions en papier, ainsi qu’une ville miniature qu’il photographie sous tous les angles. « J’ai passé des jours, des mois et des années de mon enfance avec un marteau dans les mains, à essayer de construire un avion. Je n’y suis jamais parvenu », explique-t-il. Et malheureusement, ce n’est également qu’en rêve qu’il a pu visiter la ville qui ne dort jamais… « Les États-Unis sont, encore aujourd’hui, un territoire inexploré pour moi. Je n’ai donc pas d’instruments pour approfondir mes réflexions. New York est encore loin », raconte-t-il. Mais jamais résigné, avec une allure de performance, il cultive son obsession, et libère ses frustrations. Dans les mots de Francesco Rombaldi, directeur de Yogurt Magazine, avec qui Luigi Cecconi a fondé la librairie Paper Room à Rome : « Incorrect Theory est une œuvre sur le désir, sur les rêves brisés, sur la frustration. Mais c’est aussi une catharsis visuelle dans laquelle l’auteur s’autorise une évasion – non pas géographique, mais par l’imagination. Une façon de montrer que l’impondérable est possible grâce à l’art et que l’appartenance n’est qu’une question d’autoreprésentation ».

© Luigi Cecconi© Luigi Cecconi

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Incorrect Theory © Luigi Cecconi

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