Jusqu’au 30 janvier, la galerie Thierry Bigaignon accueille l’exposition La Valise dans le Placard de la photographe et sociologue Irène Jonas. Une exploration de notre Histoire collective à travers la multiplicité de nos souvenirs intimes.
« Née à la fin des années 1950, je ne connais de la guerre que ce qui en était évoqué et peu raconté. Elle était pourtant encore très proche, peut-être trop, dans les esprits »
, raconte Irène Jonas dans la préface de son livre Crépuscules. De ce dernier, publié aux Editions de Juillet, elle extrait la série La Valise dans le Placard, composée d’images, entre photographies et peintures. Munich, Dachau, Prora, Nüremberg, Prague, Terezin, La Tanière du Loup… L’artiste nous transporte dans les villes à l’histoire complexe qui ont ponctué sa quête photographique entre 2018 et 2020. En suivant les pas du nazisme, on confronte notre souvenir intime d’une période qu’on n’a pas vécu, à une Histoire collective qui a profondément transformé le monde. La gravité de ces évènements pèse sur nos esprits, et résonne particulièrement fort dans ces lieux marqués par la Shoah, où les traces de ce passage ne se manifestent plus que dans les vestiges. Obscures et troubles, les images d’Irène Jonas brouillent les cadres de notre perception et nous plongent dans un monde où le passé se mêle avec le présent, à mi-chemin entre le rêve et la réalité. « Elles sont le fruit d’une mémoire hérité et d’une reconstruction imaginaire, elles ne racontent pas le nazisme mais s’approchent d’une prise de conscience émotionnelle de ce qu’a pu être le nazisme », complète-t-elle.
Grand puzzle historique
Dans ces lieux d’histoires et de mystères, la photographe capture ici et là des moments de vie au caractère intemporel. Après avoir saisi ces scènes en noir et blanc, Irène Jonas rehausse les tirages à la peinture à l’huile pour faire apparaître des touches de couleur délavées. En résultent des images uniques aux multiples couches, où les grilles d’interprétation se superposent et les lectures se subjectivisent. « Le conducteur d’un petit train à vapeur touristique sur l’Ile de Rügen devenait le conducteur des sinistres convois roulant vers la Pologne, la petite fille jouant à chat avec sa mère dans une forêt polonaise m’apparaissait, l’espace d’un instant, comme fuyant devant l’armée allemande, un rideau battant au vent dans l’ancien quartier juif de Budapest devenait celui d’un appartement dont les occupants avaient brutalement été arrêtés », se souvient-elle. En intervenant directement sur le tirage photographique, l’artiste se joue des limites du 8e art et nous entraîne dans un récit brumeux : entre passé et présent, intime et collectif.
Pour Irène Jonas, la série au titre énigmatique La Valise dans le Placard se lit aussi comme une façon de questionner sa propre mémoire. En figeant le temps, l’acte photographique provoque un dialogue avec ses souvenirs et confronte les sujets tabous de son enfance. « Ce livre est imprégné de choses ressenties, entendues, lues, vues, mais non vécues directement. De paroles surprises dans l’enceinte familiale, de livres glanés au fil du temps, de documentaires qu’une mémoire enfantine a enregistrés probablement sans en comprendre toute la portée », se rappelle l’artiste qui a vu ses premières images de la guerre à travers la serrure d’une porte. Photographies, souvenirs et récits personnels se croisent pour dénouer la complexité de l’Histoire, avec un grand H, indéniablement présent dans l’ensemble des mémoires subjectives. Autant de pièces éparpillées de ce grand puzzle historique qui nous hante encore aujourd’hui.
Irène Jonas : La Valise dans le Placard
Jusqu’au 30 janvier
Galerie Thierry Bigaignon, 9 rue Charlot, 75003 Paris
Crépuscules, Éditions de Juillet, 35€, 128p.
© Irène Jonas / Courtesy Galerie Thierry Bigaignon