« Des images qui murmurent »

26 juillet 2016   •  
Écrit par Fisheye Magazine
« Des images qui murmurent »
C’est une des belles rencontres du Fisheye Tour organisé en juin dernier. Nous avons découvert le travail d’Agathe, 30 ans, à Marseille. Cette jeune photographe, qui a fait ses armes à l’ENSP d’Arles, nous a beaucoup touché avec ses images délicates et profondément mélancoliques. On a donc cherché à mieux la connaître. Entretien.

Fisheye Magazine : Pourquoi es-tu devenue photographe ?

Agathe Mirafiore : C’est une histoire de transmission. Mes parents sont amateurs d’art et mon père est passionné de photographie. Je pense que c’est ce qui m’a mis dans le bain. C’est devenu une évidence !

Quelles ont été tes premières photos ?

J’ai commencé à faire des photos en retournant l’appareil vers moi, à l’adolescence. Parce que c’était un moyen de me chercher et de me trouver. J’ai développé un goût prononcer pour les matières, les surfaces, la peau, ce genre de choses… Et concrètement, je considère la photographie comme un outil de compréhension du monde et de moi-même. Au départ je m’en servais au profit d’une quête identitaire, par l’autoportrait. Aujourd’hui, je m’en sers pour observer l’autre.

Comment s’est opérée cette transition entre l’autoportrait et le portrait de modèles ?

Je suis quelqu’un de très introverti et timide. Un jour je me suis dit que ça ne pouvait plus durer, qu’il fallait que je fasse des rencontres – et puis j’en avais un peu marre de me photographier. C’est bien plus intéressant ! Je passe d’ailleurs énormément de temps à les photographier, car j’ai besoin de connaître la personne que je photographie. C’est ce côté introverti qui m’a permis de me dépasser.

Extrait de "L'éternité et un jour", travail en cours / © Agathe Mirafiore
Extrait de “L’éternité et un jour”, travail en cours / © Agathe Mirafiore

Comment tu définirais ton approche de la photographie ?

Instinctive et intuitive. Je suis très sensible à la présence et à l’absence – celles des lieux, des choses, des gens. L’humain est au centre de mon travail. J’aime profondément aller à la rencontre des gens que je photographie. Il y a aussi cette nécessité de garder une trace, car en fait je suis très angoissée par la perte, par l’oubli. Cette idée de sauvegarder ce qui m’est cher est importante. J’essaye de faire des images qui murmurent.

Quels sont tes sujets de prédilection ?

L’intime, la représentation du corps, le passage du temps. Parmi mes inspirations, il y a entre autres Hervé Guibert, Araki et son « Voyage Sentimental ». Nan Goldin, en particulier sa série « Sœurs, Saintes et Sybilles ». Et aussi Caroline Chevalier, ma formatrice à Arles et sa série « Dragonfly ».

Les femmes sont très présentes dans ta série « L’éternité et un jour ». Qu’est-ce qui t’inspire en elles ?

Il y a très peu d’hommes dans cette série car en fait, ça ne m’intéresse pas vraiment de photographier des hommes. Je questionne la féminité et ma propre féminité. J’essaye de me retrouver dans d’autres corps que le miens.

Comment se construit la confiance avec tes modèles ?

Je passe bien deux heures avec elles, parce que j’ai besoin d’apprendre à les connaître pour les photographier. En fait je leur prépare un questionnaire créé par Sophie Calle que j’avais trouvé dans Les Inrocks il y a 15 ans – comme je te disais, je suis très timide et réservée, donc ça m’aide à leur parler ! Ensuite, pendant la séance, je vais essayer de me faire oublier. J’essaye de les faire lâcher prise, ce qui est très dur. Certaines ont l’habitude d’être photographiées, d’autres non… Mais je les dirige assez peu au final. Je suis restée proche de quelques rares personnes. La rencontre peut être très belle et authentique, mais on ne peut pas gérer autant de nouvelles connaissances. L’année dernière par exemple, j’ai rencontré plus de quarante personnes !

Quel est le lien entre le corps et le paysage ?

C’est une série conçue comme un voyage mélancolique. Le thème du voyage m’oblige à me confronter à un extérieur. C’est une déambulation qui peut paraître illogique à première vue – justement à cause de l’accumulation de clichés hétérogènes. Mais en fait, cette déambulation est celle de mes souvenirs. Je travaille sur la sensation, l’émergence de présence, par une reconstruction et un assemblage de la mémoire. Comment est-ce que la photographie modifie la mémoire ?

Extrait de "L'éternité et un jour", travail en cours / © Agathe Mirafiore
Extrait de “L’éternité et un jour”, travail en cours / © Agathe Mirafiore

Qu’est-ce que tu essayes de préserver dans ce que tu photographies ?

Des rencontres. Un moment précis avec une personne. Quant aux paysages, ce sont des endroits où j’ai grandi, dans les Alpes et où je voyage quand je rentre à Aix-en-Provence.

Avec quel type de matériel est-ce que tu travailles ?

Un vieux reflex Nikon D90 et un 50mm, que j’ai depuis huit ans. J’ai abandonné l’argentique il y a un moment maintenant, mais j’aimerais bien m’y remettre. J’ai commencé la photo en argentique avec mon père en fait.

leternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-01wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-02wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-03+wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-04wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-05wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-06wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-07+wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-08wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-09+wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-10+wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-11+wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-12+wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-12Bwleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-13+wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-15+wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-16wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-17+wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-19+wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-27wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-28wleternite-et-un-jour-agathe-mirafiore-fisheyelemag-32w

Propos recueillis par Marie Moglia

En (sa)voir plus

→ Retrouvez l’intégralité de la série sur le site d’Agathe : agathe-mirafiore.com

→ Suivez-la sur Facebook : @agathemirafiorephotographe

Explorez
Les images de la semaine du 20 octobre 2025 : famille, cultures alternatives et lumière
© Sara Silks
Les images de la semaine du 20 octobre 2025 : famille, cultures alternatives et lumière
C’est l’heure du récap ! Dans les pages de Fisheye cette semaine, les photographes nous font voyager, aussi bien dans des lieux...
26 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Festival InCadaqués : les coups de cœur de la rédaction
Hail Mary, bobbin lace, serpent’s thread © Emilia Martin, Special Mention InCadaqués Festival Open Call 2025
Festival InCadaqués : les coups de cœur de la rédaction
La rédaction de Fisheye a déambulé dans les rues idylliques du village de Cadaqués, en Espagne, à l'occasion du Festival Photo...
16 octobre 2025   •  
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
Residency InCadaqués 2025 © Antoine De Winter
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
La rentrée scolaire est souvent synonyme de foisonnement d'expositions. Pour occuper les journées d'automne et faire face à la dépression...
08 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Antoine Béguier, au cœur des strates identitaires du Kirghizistan
Autoroute de la soie © Antoine Béguier
Antoine Béguier, au cœur des strates identitaires du Kirghizistan
Antoine Béguier a parcouru le Kirghizistan pendant plusieurs années. Ses voyages et ses rencontres lui ont révélé un pays en pleine...
01 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
© Laura Menassa
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
Entre journal intime visuel et témoignage collectif, le travail de Laura Menassa explore la fragilité et la résilience au cœur de...
04 novembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
La sélection Instagram #531 : dans le brouillard
© Francesco Topino / Instagram
La sélection Instagram #531 : dans le brouillard
Le ciel s’assombrit, les températures chutent. La vision se brouille. Alors que l’automne nous enveloppe dans une brume quotidienne, les...
04 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
© Charlotte Abramow
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
Sept ans après la publication de son ouvrage Maurice, tristesse et rigolade, Charlotte Abramow rouvre les pages de l’histoire de son...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #564 : Lycien-David Cséry et Ana da Silva
© Ana da Silva
Les coups de cœur #564 : Lycien-David Cséry et Ana da Silva
Lycien-David Cséry et Ana da Silva, nos coups de cœur de la semaine, prêtent attention aux détails. Le premier observe les objets et les...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger