À l’occasion des dix ans de Fisheye, les membres de sa rédaction reviennent, à tour de rôle, sur trois éléments qui les ont marqué·es : une rencontre, une œuvre photo, un événement. Lumière cette semaine sur la sélection de Milena Ill, journaliste.
La rencontre : Premier Cri
Fisheye aime privilégier la transversalité. C’est ce qui m’a permis, entre autres, de rencontrer l’équipe de Premier Cri, un collectif de jeunes réalisateurices co-fondé par Larry Clark. Chacun·e d’elleux appartient à cette nouvelle génération qui emploie tous les médiums – films, clips, publicité – pour créer d’une manière originale ses contenus. Iels contribuent à façonner l’univers visuel de certain·es artistes émergent·es de musique électronique, rap et hip hop – BabySolo33, Maud Geffray, Franky Gogo, Lala &ce… Iels étaient sept – un défi donc pour une jeune journaliste comme moi, peu expérimentée, et qui plus est, particulièrement timide. Comment allais-je pouvoir mener l’entretien avec autant de monde ? La réponse est simple : je me suis mise en position d’écoute et je n’ai pas tenu les rênes. La force du collectif paraissait à merveille. C’était simplement une occasion qui leur était donnée d’échanger sur leurs pratiques, de faire des liens entre leurs approches mutuelles. Je me suis sentie très privilégiée, et émue, d’avoir pu assister à une telle émulation, et à l’expression de véritables amitiés artistiques.
L’œuvre : Maisie Cousins
Dans son numéro d’été 2019, Fisheye présentait un portfolio sur le travail radical et provocateur de Maisie Cousins. Je n’ai pas le souvenir d’un seul travail photographique qui m’ait autant marquée – émotionnellement, voire physiquement, car il me donne la nausée. Dont cette image intitulée Blue Mermaid, aux couleurs contrastées, d’une miniature de sirène bleue en plastique échouée au milieu d’aliments qui n’inspirent guère l’appétit. Le vertige – esthétique, sensible – oblige en quelque sorte à entrer en soi-même, afin de prendre conscience des différentes strates qui nous composent, de la répulsion au sentiment de douceur et d’émerveillement. Maisie Cousins montre la beauté là où elle semble manquer cruellement, réconcilie l’érotique et l’abject. Son œuvre me signifie, avec humour : regarde au fond des poubelles, c’est là qu’est la vraie richesse de l’âme. J’ai gardé ce souvenir visuel avec la même force au fil du temps, et je dois dire que ma vision des choses a bien changé depuis cette découverte.
L’évènement : Exposé·es au Palais de Tokyo
Un matin avant même que le Palais de Tokyo ne soit ouvert au public, François Piron, curateur d’Exposé·es – qui s’y était tenue jusqu’en mai dernier – m’a accordée trente minutes, top chrono, de visite guidée de l’exposition conçue avec Élisabeth Lebovici. Avec considération, respect ainsi qu’une grande sincérité humaine – pour moi qui n’étais stagiaire que depuis un mois au sein de Fisheye, et pour qui la photo n’était pas le domaine de prédilection –, il m’a orientée dans un parcours des figures de la photographie représentées pour l’occasion, entres autres Hervé Guibert, Georges Tony Stoll, Régis Samba-Kounzi et Nan Goldin. Nous nous sommes attardé·es, à ma demande, sur le travail de cette dernière, qui retraçait la fulgurance de la maladie du sida chez son ami galeriste, Gilles Dusein. Exposé·es montrait celleux que l’amitié a sauvé·es, par-delà la mort et par-delà la vie. Elle était une exposition importante, puisqu’elle dessinait, en filigrane, la pensée queer dans toute sa substance : tisser les fils du soin et de l’amour entre nous tous·tes.