Dans le Fisheye n°47, nous sommes allés à la rencontre de plus d’une vingtaine d’acteurs du monde de la photo, pour enquêter sur l’intérêt de suivre un cursus scolaire spécialisé. Un dossier nuancé confrontant les points de vue d’anciens étudiants, professeurs et spécialistes. Pour approfondir, découvrez ici l’entretien complet de la photographe Alice Brygo, diplômée de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et étudiante au Fresnoy. Propos recueillis par Éric Karsenty.
Ma formation m’a permis de rencontrer d’autres artistes de ma génération qui m’accompagnent aujourd’hui dans la vie. C’est le principal avantage des écoles, je crois, et de l’ENSAD (École Nationale Supérieure d’Arts Décoratifs) en particulier, car on se retrouve avec beaucoup de créatifs dans différentes spécialités. À part ça, je pense que ma formation m’a surtout endurci et appris à me débrouiller seule. Ce n’est peut-être pas ce qu’on attend d’une école, mais je ne regrette pourtant pas d’avoir choisi cette formation. D’une certaine manière, c’est un endroit où on est poussé à réfléchir, à questionner sans cesse notre rapport aux images, et le fait d’étudier simultanément la photo et la vidéo est assez intéressant. C’est une formation moins adaptée qu’une école de ciné classique quand on veut faire des films, ou qu’une école plus technique quand on veut faire de la photo son métier, mais plus singulière.
Lieux de culture alternatifs
Mon parcours scolaire m’a donné très peu de clés au niveau du monde professionnel, la bienveillance n’était pas toujours au rendez-vous, et j’ai manqué d’espaces d’expérimentation. J’ai trouvé cela à l’extérieur, comme beaucoup d’étudiants, dans des lieux de culture alternatifs ouverts par des activistes et artistes de mon âge. Ce qui pèche aussi principalement à l’ENSAD, c’est un accompagnement en production assez proche de zéro. Les professeurs te donnent leur avis intellectuel, mais quasiment pas d’outils pratiques pour réaliser tes projets. Il y a quelques techniciens d’une grande aide, et du matériel à disposition, mais ça s’arrête là. C’est pourquoi j’ai choisi d’aller ensuite au Fresnoy, cursus que je suis depuis septembre 2020, pour être mieux accompagnée à ce niveau. Même si beaucoup d’étudiants qui ont eu un parcours plus pro avant d’entrer au Fresnoy y trouvent à redire, pour moi venant de l’ENSAD c’est beaucoup plus confortable.
Les rencontres les plus importantes, ce sont surtout les étudiants (que ce soit du secteur photo/vidéo mais aussi de scénographie, d’art/espace, de design graphique) avec qui je suis devenue amie qui m’ont fait le plus avancer, penser, déconstruire, inventer, et qui sont aujourd’hui mes premiers collaborateurs. Il y a la photographe et réalisatrice Laura Sifi, mon binôme de réalisation. L’artiste Balthazar Heisch, avec qui nous donnons aujourd’hui des workshops en école d’art, Pauline Cormault, qui m’accompagne en écriture, Alix Sulmont et Louise Hallou qui travaillent à mes côtés en ce moment sur le décor et les accessoires de mon prochain film…
Série de cinq panneaux de plexiglass sérigraphiés de 60 x 110cm
montées sur une structure en acier
Soleil Noir © Alice Brygo
Se perdre dans le flux
Sur les réseaux sociaux, j’aime bien suivre des choses assez narratives sur Insta, des pages militantes comme Décolonisons Nous, des pages de trouvailles internet absurdes, des bandes dessinées comme Bakonet Jackonet. Je regarde de moins en moins de comptes de photographes ou de personne travaillant dans l’image, car je trouve qu’elles se perdent dans le flux. Instagram ne me paraît paradoxalement pas le meilleur moyen de diffuser des photos. En ce qui concerne Facebook j’aime bien me perdre dans des groupes un peu obscurs. Les réseaux sociaux sont sans doute nécessaires quand on a pour objectif de faire de la photo de mode ou de collaborer avec des médias, mais ce n’est pas mon cas. Je pense au contraire qu’ils ont tendance à me distraire, à me faire chercher de la gratification facile en postant des images, tout en vidant celles-ci de leur consistance.
Si je devais donner un conseil à quelqu’un, cela dépend complètement de ce qu’elle veut en faire… Mais je dirai de ne pas avoir peur d’aller à la rencontre des artistes et photographes qui lui plaisent pour apprendre à leurs côtés, c’est peut-être la meilleure école pour apprendre à proprement parler. Aujourd’hui, je présente une installation et un film à 100% l’expo – Sorties d’écoles, à la Grande Halle de la Villette.
L’homme sans nombril © Alice Brygo
Captures d’écran du film Les îles périphériques © Alice Brygo
Ici tombent les anges, installation du film Les îles périphériques © Alice Brygo
Image d’ouverture : L’homme sans nombril © Alice Brygo