Dans le Fisheye n°47, nous sommes allés à la rencontre de plus d’une vingtaine d’acteurs du monde de la photo, pour enquêter sur l’intérêt de suivre un cursus scolaire spécialisé. Un dossier nuancé confrontant les points de vue d’anciens étudiants, professeurs et spécialistes. Pour approfondir, découvrez ici l’entretien complet de Laurent le Crabe, photographe autodidacte et community manager de l’agence Hans Lucas. Propos recueillis par Éric Karsenty.
« La photo et l’écriture sont pour moi des exutoires, je documente et photographie ce qui me parle et m’intéresse. J’ai bossé plusieurs années dans le milieu bancaire avec un parcours particulier, je n’en pouvais plus de la routine et ne m’épanouissais plus dans le format CDI / salarié. La photo, pour moi ça rime avec liberté. J’ai commencé ado avec des appareils jetables et des petits numériques. Fils d’imprimeur, j’ai toujours baigné dans la culture de l’image car mon père ramenait du travail les magazines qu’il imprimait :
Onze Mondial, Paris Match, etc. Puis en grandissant, j’ai eu la chance d’avoir autour de moi des amis qui travaillaient comme photographes / vidéastes. Je les ai assistés sur des petits plans taf au début, puis j’ai développé ma pratique dans ce qui m’intéressait : la street photography, la photo de manifestation, le portrait et des travaux plus personnels. J’ai également bossé en club à Paris au début, ce qui m’a permis de toucher mes premières paies en tant que photographe, et surtout de prendre confiance en moi. Jusqu’au jour où je me suis décidé à faire mon site internet pour continuer à me professionnaliser. Je suivais depuis un moment le boulot de photographes de l’agence Hans Lucas, je me suis donc décidé à envoyer ma candidature au boss, Wilfrid Estève, pour avoir un retour sur mon travail. Il m’a dit que j’étais le bienvenu chez eux, il m’a fait confiance, et aujourd’hui en plus d’être photographe de l’agence, j’en suis devenu le community manager et le curateur des comptes sociaux.
Fais ce qui te ressemble
Parmi les rencontres déterminantes, il y a d’abord mon ami Vincent Lamourelle, qui est un photographe / vidéaste expérimenté. On a beaucoup échangé sur ce sujet, sur ce métier, sur ma personnalité, et ça a été un des premiers à me faire bosser, à m’écouter, et à me dire :
“Fais ce qui te ressemble.” En gros à me donner confiance en moi et mes capacités. Ça peut paraître bête, mais on a tendance des fois à oublier de s’écouter, à ne pas faire ce que l’on a vraiment envie de faire, de peur de ne pas être légitime. Ensuite il y a aussi Wilfrid Estève. Entrer chez Hans Lucas m’a fait découvrir une autre dimension de la photographie, ça a été un énorme bond en avant niveau professionnalisation de ma pratique. Penser en termes de série, gérer ses IPTC, sa diffusion, traiter avec des rédactions, avoir mes premières parutions, bosser en commande avec l’Équipe magazine, collaborer avec Leica Camera France – ce qui était de l’ordre du rêve. Mes inspirations, je les puise plutôt dans les livres, qu’ils soient de photo ou non, ou la musique : Doisneau, Brassaï, Gibran, Céline, Gainsbourg… elles sont plutôt là mes inspirations.
Les plus grosses erreurs que j’ai pu commettre, ça a été de me mettre moi-même des barrières. Ce que je veux dire, c’est qu’avec le recul, j’ai perdu du temps à cause de moi à ne pas oser, à ne pas faire. Certainement parce qu’à l’époque, ne venant pas d’un cursus artistique / photographique, je pensais que je n’étais pas assez bon, pas légitime à me déclarer officiellement photographe à côté de gens “du cru” évoluant et ayant des amis dans ce milieu. C’est une erreur. Comme de se prendre pour quelqu’un d’autre. On est tous influencés par ce que l’on voit, par des boulots qu’on a appréciés, l’erreur c’est de reproduire ou d’essayer de “faire comme”. Il faut rester naturel et conforme à ce que l’on est dans la vraie vie, ne pas jouer un rôle ou se prendre pour ce que l’on n’est pas. Je n’ai jamais trop aimé l’école en général, et je me dis que si aujourd’hui je vis de mes boulots malgré le fait d’être 100 % autodidacte dans chacun d’entre eux, ce n’est pas le fruit du hasard.
Plaisir et régularité
Je suis également consultant digital, du coup je suis tenu d’être présent sur les réseaux sociaux. Je me suis concentré sur Instagram, qui est mon réseau préféré. Je me suis abonné aux comptes que j’apprécie pour consolider un feed qui m’intéresse. Les premières années, je me suis astreint à une régularité des posts afin de faire grandir mon audience et m’obliger à réfléchir sur mon travail. Aujourd’hui, c’est vraiment plaisant de voir que des gens me suivent depuis le début et apprécient mon évolution, ils savent que je suis sur Instagram comme je suis dans la vraie vie. J’aime cette proximité. Je fais régulièrement des lives pour répondre aux questions ou aborder des sujets sur lesquels on m’a interpellé en privé. J’ai recommencé il y a peu mon compte et désormais, je suis plus dans une approche plaisir. Je pense que c’est un des deux piliers pour que ça marche sur les réseaux : le plaisir et la régularité. D’ailleurs au passage, mon compte insta @laurentlecrabe.Je vais régulièrement voir le compte de Fisheye, @fisheyelemag, car il y a un gros travail de curation, et évidemment celui de mon agence @studiohanslucas. J’aime beaucoup le compte de Jean-Marie Périer qui poste pas mal de ses archives avec des histoires, tout comme aller voir les portraits de Bruno Charoy. Le compte @robertdoisneauarchives est également un nid à pépites pour qui aime Doisneau, tout comme mon autre compte de curation : @leicamuseum. J’adore les “vieilles” photographies, les archives, je pourrais passer des heures à en consulter.Si j’avais un conseil à donner à une personne qui veut se lancer dans la photo : ne pas hésiter, le faire. Règle #1 : s’écouter ! Si tu as envie de produire sur un sujet : fais-le ! Si tu n’as pas envie, ne le fais pas. S’il y a un doute, il n’y a pas de doute. D’être hyper exigeant avec soi-même également. De prendre les critiques, mais de leur donner uniquement la valeur qu’elles doivent avoir, sous-entendu ne pas se décourager à la première difficulté car, comme dans la vie, il y en aura de nombreuses. Je vois la photographie comme quelque chose d’instinctif, un métier où il est hyper important de garder la flamme, et ce n’est pas aussi facile qu’il n’y parait. »
© Laurent le Crabe