Dans le Fisheye n°47, nous sommes allés à la rencontre de plus d’une vingtaine d’acteurs du monde de la photo, pour enquêter sur l’intérêt de suivre un cursus scolaire spécialisé. Un dossier nuancé confrontant les points de vue d’anciens étudiants, professeurs et spécialistes. Pour approfondir, découvrez ici l’entretien complet de Siouzie Albiach, photographe diplômée de l’École nationale supérieure de la Photographie d’Arles. Propos recueillis par Éric Karsenty.
L’ENSP d’Arles m’a permis d’affirmer ma propre écriture photographique, et m’a amené à avoir un regard plus conscient et éveillé sur mon travail. Une grande partie du cursus est consacrée au développement de projets personnels, et c’est une réelle chance pour expérimenter de nouvelles techniques, initier des recherches, mais aussi pour apprendre à mieux questionner sa pratique. Je pense que cette prise de conscience sur son travail, qui se fait souvent à travers des échanges avec des professeurs, intervenants et étudiants, est essentielle pour s’épanouir, mieux transmettre ses idées et travailler avec les autres. La place donnée au livre de photographie et aux nouvelles pratiques de l’édition à l’ENSP m’a aussi beaucoup marqué. La collection de la bibliothèque est incroyable, avoir accès à tous ces ouvrages m’a beaucoup nourri et m’a amené à repenser la manière dont je montre et partage mes images, notamment en réalisant des autoéditions. Chaque école a ses propres tendances, et il est parfois nécessaire de prendre du recul en s’ouvrant à des influences extérieures, en initiant des déplacements et de nouvelles collaborations. Cette ouverture a été pour moi une année de césure au Japon entre 2018 et 2019, grâce à laquelle j’ai pu m’impliquer au sein du festival Kyotographie et démarrer de nouveaux projets en sortant de ma zone de confort. Pour retrouver mes repères dans ce nouvel environnement, j’ai produit énormément d’images et cette effervescence a fait naître
On The Edge, un projet sur des paysages évidés dans les villages et montagnes entourant Kyoto, sur lequel je travaille encore aujourd’hui. Si je devais suivre une formation après l’ENSP, je me dirigerais vers un doctorat ou un post-diplôme, notamment pour aller vers de la recherche et poursuivre les réflexions sur la photographie japonaise initiées avec mon mémoire de master. Suivre une formation en lien avec le graphisme et l’édition serait aussi assez complémentaire avec ma pratique de photographe.
Suivre son intuition
Je pense qu’il est important de suivre son intuition et de se laisser porter vers certaines lumières, gestes et motifs, même lorsqu’il est encore difficile d’en saisir le sens ou l’intérêt. Cela dépend des approches, mais être dans une attitude assez instinctive et sensible lorsque je photographie m’aide à mieux m’immerger dans les lieux et les scènes que j’observe, et fait souvent surgir des récurrences qui prennent tout leur sens au moment de l’editing. L’acte photographique implique paradoxalement d’avancer un peu à l’aveugle, il faut ensuite beaucoup regarder ses images, manipuler des tirages papier, les associer, en retirer, en rajouter etc. C’est un long processus, mais il permet de tisser des liens, de découvrir des évidences qui n’apparaissent pas au départ. Ce fil rouge se dévoile aussi en montrant un maximum ses images aux autres, qu’ils connaissent ou non la photographie. Je poursuis toujours mon projet
On The Edge, et je prévois de retourner au Japon dans les prochains mois, pour produire de nouvelles images et réaliser un livre d’artiste, notamment en utilisant des papiers traditionnels Japonais. J’ai la chance en 2021 d’exposer la première partie de cette série au Consulat du Japon de Lyon, sur les grilles de la Tour Saint Jacques à Paris, et de participer à l’exposition des diplômés de l’ENSP 2020 à Arles.
L’une des choses qui m’a beaucoup apporté pendant mon parcours a été de travailler sur les projets d’autres artistes et photographes, notamment en tant que commissaire d’exposition. Je pense que s’impliquer au sein d’équipes et apprendre à mettre en valeur les autres est important pour générer de nouveaux échanges et pour créer des respirations dans sa pratique personnelle. Avoir plusieurs casquettes, travailler en collectif et mélanger les genres et les médiums, génère des expériences et des pratiques stimulantes et nouvelles, qui sont aujourd’hui au cœur de la création contemporaine.
© Siouzie Albiach