Dans le Fisheye n°47, nous sommes allés à la rencontre de plus d’une vingtaine d’acteurs du monde de la photo, pour enquêter sur l’intérêt de suivre un cursus scolaire spécialisé. Un dossier nuancé confrontant les points de vue d’anciens étudiants, professeurs et spécialistes. Pour approfondir, découvrez ici l’entretien complet de Raphaëlle Stopin, directrice du Centre photographique Rouen Normandie. Propos recueillis par Éric Karsenty, et illustrés par Hubert Crabières.
La très grande majorité des photographes qui viennent me présenter leur travail ont suivi des écoles de photographie ou les Beaux-Arts. S’il y a une évolution que j’ai pu relever au cours de ces dernières années, ce n’est pas réellement dans le profil des auteur(e)s, mais plutôt dans leurs économies. J’entends dans leurs modes de subsistance, et donc dans leur façon de structurer leur pratique. Avec moins de perspectives du côté de la commande éditoriale, voire publicitaire, ils se tournent davantage vers les résidences et les appels à projets, structurant parfois entièrement leur travail personnel et son développement selon ces opportunités.
Toujours apprendre et ne pas cesser de douter
Si j’avais un conseil à donner à des personnes souhaitant s’engager en photographie, je leur dirais de toujours d’apprendre et de ne pas cesser de douter. L’accessibilité technique de la photographie est un grand atout pour qui veut se saisir du médium, mais elle fait aussi sans doute miroiter une possibilité d’échapper à un apprentissage. Cela nourrit parfois même une forme de défiance envers cette idée. On entend encore souvent que la pratique artistique, a fortiori la photographie, ressortirait uniquement de la sensibilité et de l’intuition, et qu’un enseignement n’aurait pour effet que de les brider ou les lisser. Représenter le monde, comme l’écrire, n’est sûrement pas inné, sauf pour quelques génies. L’essentiel ne se joue pas dans l’apprentissage technique, mais dans la formation du regard, la structuration de la pensée, de son positionnement dans le monde.
On peut se former de bien des façons, à chacun de trouver son système. On a la chance, en France et en Europe, d’avoir un maillage de bonnes écoles. L’école met à disposition le cadre, des espaces et du matériel pour expérimenter, et surtout une communauté d’autres élèves, celle des professeurs, artistes avec lesquels on découvre, on échange, on tombe d’accord ou en désaccord, aux côtés desquels on se forme, au sens presque plastique, de se modeler. C’est sans doute ça l’enseignement le plus important dispensé en creux dans une école, se disposer à la porosité. Cela veut aussi dire qu’elle ne fait pas tout, et que la vie en dehors de l’école, la façon dont on la nourrit, est une composante tout aussi essentielle.
© Hubert Crabières
Rester poreux
Comme pour tout apprentissage, il ne faut pas se reposer exclusivement sur l’école. Il faut veiller à rester poreux, alerte, rencontrer des artistes, leur poser des questions encore et encore, sur leur façon de vivre, leur économie, la façon dont ils ou elles construisent leurs projets et les mènent à bien. Dès qu’on le peut, aller au musée et aller au musée et aller au musée, regarder Le Caravage et Giacometti autant que Wolfgang Tillmans ou Lynne Cohen, s’arrêter par la Renaissance flamande, goûter tout ce qui n’est pas familier, regarder des films, aller en libraire et ouvrir des livres sans savoir ce que l’on y trouvera, lever le nez dans la rue.
Ne pas hésiter à se projeter dans son activité, se poser des questions très concrètes : où s’établir ? A-t-on besoin d’un atelier ? Quelle économie on construit pour se garantir l’espace pour travailler et développer son travail ? Construire son système, tout transitoire et expérimental qu’il soit, avant de sortir de l’école pour ne pas se trouver démuni quand l’infrastructure matérielle n’est plus là. Faire des stages, évidemment, c’est indispensable. Plusieurs stages, même quand ils ne sont pas obligatoires, dans des domaines variés (avec des artistes, des institutions, des médias, des studios), et puis quand le travail est un peu avancé, des lectures de portfolio, dont la première des vertus est d’y apprendre à parler de son travail, se forger ses éléments de vocabulaire et les affiner. »
© Hubert Crabières
© Image d’ouverture / Hubert Crabières