Publié aux éditions 89books, Dreamscapes nous plonge dans des paysages captivants et interroge les émotions que l’on peut éprouver pour la nature. Après avoir immortalisé ses pérégrinations dans le monde entier, la photographe et designeuse danoise Dora Kontha fusionne réalité et imaginaire à l’aide d’un processus créatif expérimental envoutant. Un voyage introspectif unique qui nous berce entre des coordonnées géographiques de paysages réels et des représentations d’un univers fantasmagorique. Entretien.
Fisheye : Quand as-tu commencé à capturer ton environnement ?
Dora Kontha : Il y a plusieurs années, je suis tombée par hasard sur le vieil appareil photo Praktica de ma grand-mère. Son design classique, le processus de développement du film, l’excitation de voir un négatif fraîchement développé et l’aspect sentimental des clichés m’ont fascinée. Ce boitier est devenu mon compagnon de tous les instants, m’accompagnant partout où je documente mon environnement et mes voyages.
Pour une raison inconnue, j’ai toujours été attirée par les paysages éloignés et dramatiques, de sorte qu’une partie de mon travail se concentre sur les espaces sauvages et sur la forme d’une nature irréelle. L’expérimentation a également joué un rôle et j’ai lentement commencé à développer des séries sur les paysages intérieurs.
Comment définirais-tu ton approche du médium?
Je m’intéresse beaucoup à la façon dont les souvenirs et les sentiments personnels sont associés à différents lieux physiques. Mon principal but est de trouver le point de rencontre entre le subjectif et l’objectif, le réel et l’irréel, l’imaginable et le tangible, et la manière dont ils s’influencent mutuellement. La recherche de la frontière entre le rationnel et l’irrationnel est un instant clé de mon travail, où il est difficile de distinguer la réalité du rêve. Des objets concrets et des moments précis commencent à fusionner avec des couleurs inattendues, des formes floues, des souvenirs lointains et des sentiments doux. Les associations d’images explorent l’importance des expériences émotionnelles, la relation de l’individu à la réalité et l’influence de la mémoire subjective sur le monde physique.
Justement, dans ton ouvrage intitulé Dreamscapes, tu associes des paysages à des photographies expérimentales. Peux-tu nous en dire davantage ?
Mon livre présente un voyage intérieur et extérieur à travers des photographies soigneusement sélectionnées. Elles trouvent leur origine dans l’évasion, le sentiment de liberté, la nostalgie d’endroits illusoires et l’impatience de découvrir des paysages d’un autre monde et sont remplies de souvenirs personnels, de sensations et d’émotions qui appartiennent à différents lieux. À travers ce travail, mon objectif était d’unifier les paysages intérieurs et extérieurs en créant une expérience de perception cohérente.
Quel est le processus créatif qui se cache derrière ce projet ?
Les photos de paysages sont prises lors de voyages dans différentes parties du monde avec mon appareil photo 35 mm. C’est dans la nature que je puise l’essentiel de mon inspiration. Je suis particulièrement attiré par les endroits isolés et j’ai toujours aimé capturer des environnements sans humains ni infrastructures. Je m’attache à saisir l’authenticité de ces lieux, en mettant en valeur leur beauté naturelle et non filtrée.
Puis, j’utilise mes films négatifs comme des toiles pour créer des univers imaginaires, où les souvenirs personnels, les sentiments et les paysages réels se confondent. Pour y parvenir, je travaille avec des procédés alternatifs et des techniques expérimentales, et je m’intéresse aussi beaucoup au médium sans caméra. Mon processus est plutôt lent et consiste en de nombreux échecs.
Qu’apprécies-tu dans la photographie expérimentale ?
J’aime à penser que les possibilités sont infinies, et l’expérimentation est exactement cela. Les sentiments peuvent être exprimés de tant de façons. J’essaye des choses et des combinaisons jusqu’à ce que j’atteigne le résultat visuel que je me suis fixé. Les surprises et les erreurs rendent l’exercice encore plus excitant et inspirant.
Quels sont les paysages qui te marquent le plus lors de tes pérégrinations ?
Je suis très influencé par les paysages nordiques, les montagnes, les volcans, les glaciers et la diversité générale du monde et de la nature. Toutes ces impulsions se retrouvent dans mes photos. D’ailleurs, mes voyages impliquent souvent des défis tels que des randonnées physiquement exigeantes, des conditions météorologiques extrêmes ou des animaux dangereux, mais pour une raison ou une autre, ces situations deviennent les souvenirs les plus remarquables pour lesquels je me sens si reconnaissante. Ce qui me touche également, c’est de voir des animaux sauvages dans leur habitat naturel. L’année dernière, j’ai visité l’Australie pour la première fois et, outre les paysages absolument incroyables, percevoir des koalas, des kangourous et des wombats dans la nature m’a profondément émue.
Peux-tu nous présenter ta paire de paysages préférée ?
Il s’agit de cette montagne des Highlands écossais avec sa forme symétrique et son atmosphère mystique. Elle était majestueuse et semblait presque irréelle. Les conditions météorologiques changeaient rapidement et soudainement, les nuages et l’orage à venir lui ont donné un aspect dramatique avec une tonalité violette. Le paysage intérieur qui en résulte correspond exactement à ce que j’avais en tête en termes de couleurs, de formes et d’ambiance avant de commencer à travailler dessus. La façon dont il a évolué et dont les deux photographies se complètent représente pour moi l’unité.