
Dans son livre I Saw a Tree Bearing Stones in the Place of Apples and Pears, publié chez Yogurt Editions, Emilia Martin s’intéresse au voyage céleste des météorites qui finissent leur trajectoire sur terre. Mêlant écrits scientifiques, images de pierres, ciels étoilés et archives altérées, elle tisse un récit aux frontières de la réalité et de la fiction.
« Mes ancêtres travaillaient dans les champs au plus proche de la nature. Ils étaient chrétiens, mais avaient aussi des croyances païennes », commence Emilia Martin, photographe polonaise installée aux Pays-Bas. Pour l’artiste, mentionner son arbre généalogique, c’est une façon d’initier son œuvre : « Ce clash entre la réalité rigide et les mythes se fraye toujours un chemin dans ma photographie. » L’histoire des météorites, dans son ouvrage I Saw a Tree Bearing Stones in the Place of Apples and Pears, publié chez Yogurt Editions, en est une expression tangible. Ce projet prend racine alors qu’elle étudie les ciels étoilés en voie de disparition. Développant une obsession pour les planétariums, elle rencontre des passionnés d’astronomie à travers la Hollande. « Un de ces hommes – car ils étaient principalement des messieurs – venait d’une famille de collectionneurs et il était mordu d’astronomie. Il avait une quantité folle de télescopes et autres objets astronomiques, mais surtout, il avait une gigantesque collection de météorites », se souvient Emilia Martin. L’autrice retrace alors l’histoire de ces pierres grises, sans trop d’intérêt au premier regard, de l’espace, à travers l’atmosphère, jusque dans les bosquets où elles trouvent refuge ou dans les sous-sols de quelques enthousiastes. Objets de fantasmes, ils deviennent les vecteurs de récits surréels qui ont transcendé la science et les époques.



Des pierres et des reliques catholiques
« Ce qui est dingue, c’est que la science occidentale a ignoré l’existence des météorites jusqu’à la fin du 18e siècle », s’étonne Emilia Martin. Si la réalité scientifique de ces petits cailloux est importante, ce sont les histoires et les légendes qu’ils transportent qui interpellent la photographe. Mêlant archives altérées, images de pierres, borderies, clichés de ciels étoilés, poèmes et récits académiques, l’artiste polonaise interroge les dialogues entre l’étude de ces éclats d’astéroïdes et les mythes que nous leur associons. Emilia Martin les compare par ailleurs à des reliques catholiques, citant le livre Draw Your Weapons de Sarah Santilles. Selon ses écrits, il existe trois types de reliques : les parties du corps d’un·e Saint·e, les objets qui ont entouré le ou la Saint·e de son vivant et les objets qui touchent le corps après la mort du ou de la Saint·e. « Les météorites ressemblent aux reliques. D’un côté, ce n’est qu’un minéral, un bout de roche. Mais de l’autre, parce qu’elle a été en contact de l’espace, elle porte en elle l’histoire d’un ailleurs, elle transgresse l’idée entre l’ordinaire et le sacré ou le spirituel. Je vois ce caillou presque comme un narrateur d’univers alternatifs », réfléchit l’autrice.



Le jeu de la manipulation
Pour répondre à ce « clash » entre la réalité et la fiction, Emilia Martin poursuit une méthode rigoureuse à la croisée de la recherche académique et de la manipulation visuelle et textuelle. Les images de pierre reflètent leur existence factuelle. En parallèle, elle présente un large corpus de photographies d’archives. « Comme ces pierres, les photographies véhiculent des histoires. Nous les regardons comme si elles étaient déjà ancrées dans le réel. Mais au fond, c’est bien plus complexe que cela. Intégrer de l’archive dans ce travail, c’est une forme de manipulation », précise-t-elle. En face de certains clichés, des textes, issus d’ouvrages scientifiques ou d’essais ayant traversé les siècles, s’entremêlent. « Ce sont des citations – mais aussi un poème dans lequel une météorite parle à la première personne –, mais sorties de leur contexte. Ceci ajoute une autre couche à la manipulation du récit et sert d’autant plus le propos », soutient Emilia Martin. Finalement, ce livre contient-il de vraies photographies de météorites ? Celle ou celui qui lira l’ouvrage s’en fera sa propre opinion. Réel ou fictif, I Saw a Tree Bearing Stones in the Place of Apples and Pears transporte dans une odyssée céleste et terrestre qui nous positionne face à nos contradictions et notre petitesse dans la galaxie.
Le tarot astronomique
« Cette image provient des Archives numériques nationales polonaises. Initialement, c’était la photographie d’une seule petite fille. Mais dans le jeu de la manipulation, j’ai décidé d’en faire apparaître une deuxième. Pour moi, cette photographie fait référence à l’esthétique du tarot, mais aussi à des légendes qui englobent les météorites, si mystérieuses qu’elles soient. »







148 pages
32 €

