Fisheye : Qu’as-tu cherché à représenter avec “Infinités des possibles” ?
Anne-Laure Étienne : Cette série représente l’immersion, l’ensevelissement, l’acceptation d’un moment d’oubli et un renoncement à sa propre responsabilité. L’immersion satisfait un besoin de détente, de sécurité, de ressourcement, ainsi que le retour à la matrice originelle qui est un retour à « la source de vie ». La masse des eaux représente « l’Infinité des possibles » car elle contient le virtuel, l’informel, toutes les promesses de développement mais aussi toutes les menaces de résorption.
Quand as-tu commencé cette série et combien de temps as-tu travaillé dessus ?
J’ai commencé cette série cet été, lorsque le temps était favorable à la réalisation de ce type d’images. Comme j’ai travaillé en milieu naturel, j’avais besoin de beaucoup de lumière, mais aussi qu’il fasse chaud. Disons que toutes ces éléments rendaient les séances confortables et propices à la réalisation de jolies photos. Il a fallu en tout cinq séances, étalées sur deux mois pour toute cette série.
Qu’as-tu cherché à exprimer ?
L’eau possède beaucoup de significations et a une très forte symbolique. Il y a une très grande richesse dans les « possibilités » d’interprétation. Pour ma part j’ai voulu représenter la frontière entre le monde des vivants et le monde des morts. Dans certaines images, on voit un sujet qui se laisse couler, désemparé, qui touche le fond. Dans d’autres, il y a comme une volonté de retrouver surface, une lutte acharnée pour ne pas se laisser happer par la profondeur des eaux noires et troubles. Il s’agit de situations déroutantes où on ne sait plus si l’esprit émotif est dirigé par le désir de vie ou par la peur.
Pourquoi l’eau est l’élément qui t’as attiré ?
Depuis que je fais de la photographie, mon rêve est de faire des images sous l’eau. Je voulais absolument explorer cet élément si mystérieux. Quand j’étais enfant, j’avais la phobie de l’eau et surtout des profondeurs. J’étais très effrayée par ce « monde » où tout n’est que silence, où tous nos mouvements semblent décélérés. C’est comme si la notion du temps disparaissait.
Qui est la jeune fille que tu as photographié sous l’eau ?
J’ai travaillé en collaboration avec une amie d’enfance (Helena Aubertin), danseuse et modèle. Comme je n’avais encore jamais travaillé dans cet élément, je voulais rendre la tâche plus simple en collaborant avec un modèle déjà à l’aise avec son corps. Je lui ai demandé de danser sous l’eau. Il y a également certaines images ou j’apparais en autoportrait, car je voulais absolument tenter cette expérience insolite et travailler sur moi même.
Il y a un jeu intéressant autour de la couleur et de la matière : comment l’as tu réfléchi ?
On peut exprimer beaucoup de choses avec un vêtement. Il est l’un des premiers indices d’une conscience de soi. Sous l’eau, la matière prends un tout autre aspect et apporte des textures visuelles très intéressantes. Je voulais travailler sur une esthétique poignante, qui ferait opposition avec le fond neutre dans lequel le sujet est plongé. En ce qui concerne les couleurs, il me fallait quelque chose d’éclatant, de lumineux pour trancher avec le côté sombre de l’eau. Le blanc, car il représente l’absence, mais aussi la somme des couleurs. Le rouge, car il est considéré comme le symbole fondamental du principe de vie.
Quelles sont tes influences ?
Je suis une fan inconditionnelle de Francesca Woodman. J’aime aussi beaucoup le travail d’Alison Scarpulla et l’univers fascinant de Jan Durina. J’écoute aussi beaucoup de musique, et je m’en inspire souvent.
Pourquoi es-tu devenue photographe ?
C’est venu naturellement. J’ai commencé avec la volonté de figer l’instant présent. Par la suite, j’ai découvert que ça ne me suffisait plus, que j’avais besoin d’aller plus loin et de créer mes propres instants. Faire de la photographie est devenu un excellent moyen d’expression, une façon d’extérioriser mes contradictions, mes peurs et certaines facettes de mon inconscient.
Enfin, trois mots pour décrire cette série ?
Intemporelle, informelle, et spirituelle
Propos recueillis par Marie Moglia
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→ L’intégralité de cette série est à découvrir sur le site d’Anne-Laure : www.unspokenimage.com