Au début de l’été, Justine Valençon a dévoilé Dunes, première série d’un projet au long cours placé sous le signe de l’engagement. Sur des toiles monochromes, des jeunes femmes libres et nues semblent danser entre des courbes colorées tracées au pinceau. Une manière poétique de s’affranchir des carcans sociétaux.
Baie de Somme, 2022. Huit jeunes femmes dénudées peuplent les dunes solitaires d’un bord de mer. Le cri des mouettes, le clapotis des vagues et les embruns salés bercent les sens en éveil dans la fraîcheur d’un début d’année. Au loin, les gestes frénétiques d’une vieille dame qui, insensible à ce vent de liberté, fulmine contre cette jeunesse intrépide. Justine Valençon est à l’origine de ce tableau digne de la Nouvelle Vague. C’est à Via Carbonara, villa italienne au charme d’antan, que la photographe eut l’idée de bâtir ce premier projet. Au cœur de ce lieu de villégiature, fréquenté l’année passée, elle profite de l’été aux côtés de ses belles amies. La chaleur est écrasante, et dans le confort de l’intimité, le petit groupe fait fi des habits qui embarrassent le corps. Dans la nostalgie pressentie de cet instant en suspens, Justine immortalise ces fragments d’existence. Via Carbonara est né.
La photographe, d’origine belge, a vu défiler vingt-huit étés. Enfant déjà, elle les occupait en s’amusant avec les boîtiers argentiques hors d’usage de ses grands-parents. Dans le jardin, le monde se réinventait alors d’un regard juvénile, sensible à l’élégance d’un détail délicat. Cette faculté singulière à capter l’essence de toute chose ne la quittera pas. Dunes, la première série qui nourrit ce projet au long cours, se joue de ces éléments au charme discret, mais également des oxymores. Légers et puissants, les clichés monochromes incarnent avec volupté la vulnérabilité d’un corps nu et si libre pourtant. Augmentées de quelques courbes esquissées au pinceau, les teintes pastel ou naturelles renforcent cette dualité inhérente à sa conception de la féminité. Entre portraits réalistes et œuvres graphiques, l’enveloppe charnelle se dévoile et se dissimule. Les visages se détournent quand ils ne sortent pas du champ, et confèrent une part de mystère envoûtant.
Le corps libre comme moyen d’action
À l’instar d’une pratique qui, d’un seul geste, parvient à renouveler le médium, tout un chacun peut s’approprier ces images sibyllines par le prisme de l’imagination. « Je voulais absolument dépeindre les corps dans toute leur simplicité pour que n’importe qui puisse s’y projeter », explique Justine Valençon. Sans retouche, aucun artifice ne peut altérer leur réalité propre. Dénués de contextes précis, les voilà sublimés dans le raffinement des imperfections et affranchis des affres des jours. « Selon moi, la transmission est ce qui fait toute la beauté de la vie, nous confie-t-elle. J’aime l’idée de créer des tableaux qui pourront perdurer, je l’espère. J’ai toujours préféré le noir et blanc qui rappelle les photos de nos grands-parents à la couleur. Il traverse les générations comme nulle autre nuance. » Ce désir d’universalité engage alors d’autant plus celui ou celle qui contemple les œuvres.
À double sens, cet engagement s’exprime également dans la nature même de son processus artistique. « Dans notre société actuelle, j’estime qu’il est très important de le faire, explique Justine Valençon. Même si ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, le moindre geste compte. Je voulais donc créer quelque chose qui me plaît et qui me permet de prendre part à une cause qui m’inspire. » À cet effet, une partie des bénéfices des ventes de chaque toile est reversée à la Fondation des Femmes – référence française en matière de lutte pour les droits de ces dernières. Le corps libre se réinvente ainsi en un moyen d’action. « À terme, j’aimerais que Via Carbonara grandisse et devienne un collectif qui défend bien évidemment les femmes, mais aussi les enfants et la nature », conclut l’artiste. Une manière tout à fait louable de confondre le fond et la forme d’un superbe projet.
© Justine Valençon