Escaping Death : photographier la grande fuite

20 octobre 2023   •  
Écrit par Milena Ill
Escaping Death : photographier la grande fuite
© Felix Kleymann
© Felix Kleymann

Photographe allemand, Felix Kleymann a accompagné un groupe de réfugié·es qui fuyait la Syrie en guerre, jusqu’au bout de leur traversée. Plutôt que de documenter l’exil d’un point de vue extérieur, Escaping Death est le résultat d’une immersion de deux mois qui montre ce voyage dans son authenticité, et sa difficulté.

Deux regards qui se croisent d’un côté à un autre d’un quai, et qui semblent se dire : nous n’allons pas dans la même direction, car vous êtes libres et nous sommes en fuite. Une situation d’apparence banale qui, dans cette image de la série Escaping Death: Syrian Refugees, veut dire bien autre chose que ce qu’elle signifie dans des pays qui ne connaissent pas la guerre actuellement. Felix Kleymann a documenté les effets de la guerre en Syrie depuis 2011. « J’ai souhaité photographier l’énorme lutte à laquelle les citoyen·nes syrien·nes et irakien·nes sont confronté·es en raison de la guerre, des services de renseignement et de la fuite », explique le photographe.

Son voyage commence en Irak – en 2011 soit lorsque la guerre éclate –, où le photojournaliste a documenté les conditions misérables de la vie des réfugié·es dans les camps. De là, avec l’aide et l’hébergement de ces dernier·es, il fait le chemin avec elleux, pour comprendre et saisir de la manière la plus juste possible leurs difficultés. Cette épopée les fera traverser la Syrie et la Turquie, puis s’orienter de plus en plus vers l’est de l’Europe – en passant par la Grèce, la Macédoine, la Serbie, la Croatie, la Slovénie et l’Autriche. Leur destination finale : l’Allemagne, son propre pays. Car à l’époque, c’est le pays dont la politique d’immigration accueille alors le plus de réfugié·es.

Au cœur de la crise des réfugié·es

« Ce que je voulais surtout éviter, c’était d’être quelqu’un qui prend des photos depuis une colline avec un objectif téléscopique », déclare Felix Kleymann. Pour l’artiste, la photographie est par essence un « point de vue » : d’où l’importance de son immersion et de son engagement physique et émotionnel pour ce travail en particulier. Dans cette même approche, ses reportages en tant que photojournaliste l’ont amené à s’intéresser à des sujets aussi variés que le trafic de drogue à Rio de Janeiro, ou la vie marginale des travailleur·ses du sexe aux États-Unis. 

Escaping Death témoigne de l’ensemble de la traversée, des problèmes les plus communs – trouver un endroit pour recharger son portable, par exemple – aux embûches les plus risquées, et aux situations les plus dramatiques. Une photographie de sa série, la plus célèbre, capture la périlleuse traversée de 35 migrant·es à bord d’un simple canot pneumatique pour aller de Turquie jusqu’en Grèce. Felix Kleymann engage son corps tout entier dans sa démarche : il ne s’écarte pas de la voie empruntée par les autres, ne se soustrait à aucun moment aux situations de danger potentiel auxquelles le groupe doit faire face. L’artiste âgé de 38 ans fait, au cours de ce voyage, l’expérience de l’impressionnante capacité d’adaptation des humains aux choses les plus extrêmes.

Traversée au bout de la nuit

Prendre part à ce voyage, c’était aussi et surtout partager une intimité et un quotidien. « Nous nous sommes entraidé·es, nous avons partagé des plans, des idées et du pain », confie Felix Kleymann. Escaping Death raconte également les moments plus calmes : des vêtements fraîchement lavés suspendus pour sécher sur une botte de foin, près de la frontière entre la Grèce et la Macédoine, par exemple. Au fil de sa série, le photographe il évoque en contrepoint les empreintes que laisse la guerre d’une manière subtile – comme cette image d’un enfant qui brandit un pistolet à eau sur ses camarades, et qui résume à elle seule le traumatisme. Contempler les traces de ce voyage, les expressions sur les visages des enfants et des adultes, c’est ressentir les silences et les doutes, l’attente interminable de pouvoir traverser les frontières, le rire aussi parfois, dont l’humain est capable jusque dans la plus grande peur. C’est vivre de près le destin de plusieurs milliers d’individus, qui fuient chaque jour, coûte que coûte. Avec l’espoir d’un jour, peut-être, pouvoir y retourner.

© Felix Kleymann

© Felix Kleymann

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