Du 22 septembre 2023 au 18 février 2024, la Maison Doisneau présente Et nos morts ? une exposition collective rassemblant vingt auteurs et autrices, accompagnée d’une publication, autour du corps mort et de sa représentation. Un projet inhabituel qui néanmoins incarne tout le sens de la photographie humaniste, vouée à raconter l’expérience humaine sur Terre.
L’exposition Et nos morts ? à la Maison Doisneau, ouvre les portes de l’extra-terrien et nous introduit à une pratique peu connue et peu montrée : la photographie post mortem. Ce pan de la photographie est éminemment humaniste et nous invite à questionner ce qu’est l’humain, son histoire contemporaine et son rapport avec l’existence. Pourtant, l’affirmation de cette forme d’art a été longue et encore aujourd’hui, sa monstration fait face au tabou qui entoure la mort dans nos sociétés occidentales. Jusqu’aux années 1970, le corps mort n’était photographié que pour la presse, les archives familiales ou encore les archives scientifiques ou médico-légales. Lorsque la photographie s’affirme comme forme d’art à part entière, quelques artistes commencent à entrevoir dans le portrait post mortem une possibilité d’expression créative. L’exposition à la Maison Doisneau présente des œuvres récentes introduites par les travaux avant-gardistes de photographes du milieu du 20e siècle (Jacques Henri Lartigue, Laure Albin Guillot, Robert Doisneau, Raymond Voinquel). Le parcours donne à voir les transformations de notre rapport collectif avec la mort jusqu’à arriver à l’époque contemporaine, où le corps décédé et l’idée même de finitude semblent être devenus intolérables à nos yeux.
La photographie post-mortem : quand l’Occident se confronte avec la mort
Selon l’autrice Susan Sontag, la photographie, au gré de ses évolutions des deux derniers siècles, a montré ce que nous avions le droit de voir. Par défaut, elle témoigne aussi de ce qui nous est interdit. Nous remarquerons alors qu’en Europe, l’image du corps mort est devenue un tabou culturel et que nos mort·es sont rélégué·es au domaine de l’invisible, du caché et du morbide. Une tendance qui va de pair avec une folle course capitaliste à l’immortalité et avec un refus de cultiver un art de vivre et donc, de mourir. La photographie post-mortem défie cet état des choses, même si rarement elle sort de la sphère intime. Les images montrant des corps occidentaux trépassés, ne paraissent quasiment pas dans les médias. C’est cette dimension exceptionnelle qui a fait que les corps emportés par le COVID-19 ont autant marqué les esprits et redoublé notre peur de la maladie : dans l’Occident contemporain, le plus souvent, nous n’interagissons pas avec la mort jusqu’à un âge avancé. « La mort est aujourd’hui perçue comme un intolérable terme à une vie qui se doit d’être riche et remplie, constate Michaël Houlette, Directeur de la Maison Doisneau. Le devoir de bonheur vécu comme une valeur positive dans nos sociétés de consommation aurait d’ailleurs tendance à brider les émotions supposées négatives comme le chagrin lié au deuil, la peur ou l’angoisse de la mort. » L’exposition Et nos morts ? veut alors prendre le contre-pied de cette propension culturelle au déni et soulève une question anthropologique cruciale : que penser d’une société qui cache ses mort·es ? Ce séjour dans l’au-delà, percé par la photographie, fait ressurgir des émotions enfouies et pourtant ancestrales, liées à la douleur suprême du deuil et à la peur ultime de disparaître.