Et si on redéfinissait la masculinité ?

24 mai 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Et si on redéfinissait la masculinité ?

Dans Boys will be, le photographe américain Jon Ervin s’intéresse à la masculinité. Une notion qu’il explore, apprivoise et déconstruit en croisant photographie de mode, documentaire et archives.

« La masculinité doit être prouvée. Et à peine l’est-elle, qu’elle est remise en question et doit être prouvée à nouveau – constante, implacable, inaccessible »,

écrit le sociologue américain Michael S. Kimmel dans The Gender of Desire: Essays on Male Sexuality. Qu’est-ce qui définit cette masculinité ? Pourquoi ses représentations sont-elles si limitées ? Peut-elle être fluide, libérée ? Ce sont ces réflexions que le photographe Jon Ervin a explorées à travers Boys will be. Une série mélangeant images d’archives, documentaires et shootings de mode pour proposer une nouvelle définition du masculin. Dans les images de l’auteur new-yorkais, les corps dénudés se touchent, se soutiennent, se combattent et tissent ensemble une histoire faite de nuances et de compromis.

C’est en Oklahoma que l’artiste a grandi. Un territoire qui inscrit en lui au fer blanc un idéal à atteindre, une vision fermée de ce que signifie être un homme. « Cette représentation de la masculinité ne m’a jamais convenu. En déménageant à New York, cependant, j’ai compris que ma virilité n’était pas un problème, contrairement à ce que j’avais pu croire. La pression de mes pairs, d’être cet homme fort et dur – que je ne souhaitais pas devenir – n’existait plus. C’est ce changement de philosophie qui m’a poussé à explorer la notion de masculinité », raconte-t-il. Il débute alors Boys will be, une étude esthétique de la notion de genre, et de notre manière de nous présenter à l’autre.

© Jon Ervin© Jon Ervin

Être, tout simplement

Car la performance est au cœur de la série de Jon Ervin. Dénudés, en pleine séance de sport, ou encore vêtus d’uniformes militaires, les modèles du photographe jouent, face à l’objectif, le rôle de toute une vie. Leurs corps ciselés se contorsionnent pour laisser apparaître les marques de la virilité – des muscles, et une force physique indéniable. Pourtant, une certaine vulnérabilité se dégage des images. Une fragilité que l’on parvient à discerner dans un regard, une étreinte, une position. Au cœur de ces scènes ultras masculines, le photographe distille un certain homoérotisme et joue avec nos perceptions, nos attentes. « Je m’intéresse ici à notre manière de performer pour les autres, à la façon dont les hommes modèlent leur identité. Nous jouons tous un rôle constamment, et cette performance est délibérée, bien qu’elle ne soit pas toujours consciente. Dans Boys will be, j’invite mes sujets à endosser ces rôles, et à se poser la question suivante : qu’est-ce que cela signifierait d’“être”, tout simplement ? », confie-t-il.

Inspiré par Rrose is a rrose is a rrose, un livre de Jennifer Blessing, édité suite à une exposition photographique au Guggeinheim – dont les auteurs questionnaient tous et toutes, à leur façon, la porosité entre les genres – Jon Ervin fait du corps un costume. Un déguisement se déclinant à volonté. En empruntant aux codes de la mode, l’artiste interroge le lien fort unissant le médium au réel et invite ses protagonistes à changer de peau – comme de vêtements. Les étreintes photographiées proviennent-elles d’événements sportifs, d’actions éphémères et violentes ? Ou marquent-elles des instants de sincérité, où les hommes s’abandonnent, se libèrent, et font fie d’une masculinité toxique qui ne fait que les brider ? En plaçant ses modèles dans des espaces si manifestement virils, Jon Ervin propose une métamorphose de notre société patriarcale. Un monde où même les endroits les plus fermés acceptent de s’assouplir. Un monde où la masculinité n’est plus une notion élitiste, destinée seulement à des personnes adhérant à une manière de pensées obsolète, mais synonyme de changement, de tolérance, et de bienveillance.

© Jon Ervin© Jon Ervin

© Jon Ervin

© Jon Ervin© Jon Ervin
© Jon Ervin© Jon Ervin
© Jon Ervin© Jon Ervin

© Jon Ervin

© Jon Ervin© Jon Ervin

© Jon Ervin

Explorez
L'exposition Benzine Cyprine victime de vandalisme
Le compromis, de la série Benzine Cyprine © Kamille Lévêque Jégo
L’exposition Benzine Cyprine victime de vandalisme
Les expositions présentant le travail de femmes photographes et traitant de sujets liés au féminisme et à l’égalité des genres sont...
12 mai 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Dans l'œil de Marivan Martins : portrait de la surconsommation
Black Friday © Marivan Martins
Dans l’œil de Marivan Martins : portrait de la surconsommation
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Marivan Martins, photographe brésilien, installé à Paris, dont le livre autoédité Black Friday est...
12 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
The Journey Home from School © Laura Pannack, United Kingdom, Winner, Professional competition, Perspectives, Sony World Photography Awards 2025.
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
Des corps qui chutent, des trajectoires contrariées, des espaces repris de force… Et si la photographie était un langage de reconquête ?...
10 mai 2025   •  
Écrit par Anaïs Viand
Marion Gronier, la folie et le regard
© Marion Gronier, Quelque chose comme une araignée / Courtesy of the artist and Prix Caritas Photo Sociale
Marion Gronier, la folie et le regard
Pendant deux ans, Marion Gronier a arpenté des institutions psychiatriques en France et au Sénégal. Sans jamais montrer de visages, elle...
09 mai 2025   •  
Écrit par Milena III
Nos derniers articles
Voir tous les articles
La sélection Instagram #506 : avec la légèreté d'une plume
© Oana Stoian / Instagram
La sélection Instagram #506 : avec la légèreté d’une plume
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine saisissent un instant, un moment suspendu dans l’air, une respiration, une...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Marie Baranger
L'exposition Benzine Cyprine victime de vandalisme
Le compromis, de la série Benzine Cyprine © Kamille Lévêque Jégo
L’exposition Benzine Cyprine victime de vandalisme
Les expositions présentant le travail de femmes photographes et traitant de sujets liés au féminisme et à l’égalité des genres sont...
12 mai 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Dans l'œil de Marivan Martins : portrait de la surconsommation
Black Friday © Marivan Martins
Dans l’œil de Marivan Martins : portrait de la surconsommation
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Marivan Martins, photographe brésilien, installé à Paris, dont le livre autoédité Black Friday est...
12 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #543 : Clarice Sequeira et Maurizio Orlando
© Clarice Sequeira
Les coups de cœur #543 : Clarice Sequeira et Maurizio Orlando
Clarice Sequeira et Maurizio Orlando, nos coups de cœur de la semaine, proposent un regard intime sur soi et sur l'autre. La première...
12 mai 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot