États d’âme en forêt

13 avril 2017   •  
Écrit par Fisheye Magazine
États d'âme en forêt

Il y a des cris enjoués d’enfants, qui se perdent en échos dans les arbres. Des cris que seul un silence concentré face à l’effort interrompt. Et le temps qui, à l’âge adulte, ne les invoque qu’en souvenirs. Ceux-là appartiennent à Alexandra. Petite, elle en a arpenté des sentiers. Qu’est-ce qu’un enfant peut bien chercher au fond des bois ? Un refuge, un espace éphémère n’appartenant qu’à lui. La cabane.

En 2012, Alexandra vient de terminer ses études. Elle retourne chez elle, à Fontainebleau. C’est la période des doutes, des hésitations. Alors pour échapper aux incertitudes, la photographe se rend régulièrement dans la forêt, qu’elle connaît par cœur. « C’est un endroit qui m’apaise. À force de m’y balader, j’ai un jour pris conscience qu’il fallait que je travaille dessus », raconte la photographe, « et dans une forêt, il y a tout le temps des cabanes. [En redécouvrant] Fontainebleau, je me suis aperçue qu’il y en avait aux mêmes endroits où je me rendais petite. En fait, il y a là-bas des lieux très précis où des générations d’enfants construisent quasiment les mêmes cabanes. » Alexandra tient son sujet.

"Cette photo est très importante pour moi car c'est le début de la série. Ça a été le moment où je me suis dit qu'il fallait que je me concentre sur la forêt. C'est donc une carte de la forêt de Fontainebleau. Les petites maisons de Monopoly évoquent le jeu - ce que je représente aussi ce travail. Le jeu me ramène à l'enfance." Extrait de "Nesting in the Wolf Tree", © Alexandra Serrano
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano

Pendant deux ans, elle explore sur son temps libre la forêt de son enfance. Elle arpente les chemins, découvre des grottes inquiétantes, rassemble des branches et reconstruit les mêmes cabanes que la fillette qu’elle a été un jour. « Tout mon travail est lié à l’enfance, et aux souvenirs que j’en ai gardé », explique-t-elle. La différence avec Nesting in the Wolf Tree, c’est que l’imaginaire y tient une place primordiale. Les 27 images retenues dans son editing final évoquent avec force la puissance symbolique de la forêt.

C’est à la fois un refuge ; un lieu d’aventure, où les héros malheureux des contes doivent se confronter aux épreuves de la vie ; un écrin de solitude. Pour celui ou celle qui s’y confronte, la forêt est un terrain d’introspection. C’est pourquoi Nesting in the Wolf Tree est aussi un témoignage très personnel. « Pourtant, quand j’ai commencé, je n’envisageais pas le projet sous cet angle. Je m’intéressais davantage à l’expérience des autres. J’ai fait pas mal de portraits de gens, à qui je demandais de me raconter leurs souvenirs de cabanes. » Petit à petit pourtant, la forêt jusque là un peu lointaine s’impose dans les réflexions d’Alexandra. Puis un stage à Arles avec Claudine Doury lui révèle ce que doit être le propos de sa série : sa mémoire à elle. C’est d’ailleurs à Arles qu’elle réalise les images les plus difficiles de sa série.

"Cet autoportrait et la photo du nid ont été pour mois les images les plus difficiles à réaliser. Je les ai faites quand j'étais en stage avec Claudine Doury. Elle m'avait demandé de ne travailler sur rien d'autre. Sauf que j'étais à Arles, et pas du tout dans mon atmosphère. Je suis restée une journée entière dans la Maison des stages, dans un grenier poussiéreux où il faisait 40 degrés. Je me suis obligée à ne pas quitter cette pièce, tant que je n'avais pas mes images." Extrait de "Nesting in the Wolf Tree", © Alexandra Serrano
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
"'J'ai acheté de quoi faire un nid dans un magasin animalier. J'avais fait un croquis de cette image et ça a été très long, parce que je voulais absolument que la lumière tombe à cet endroit là." Extrait de "Nesting in the Wolf Tree", © Alexandra Serrano
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano

Car Alexandra ne laisse rien au hasard. Chaque image de la série naît d’abord d’un croquis. Puis c’est plusieurs heures de travail. Pour une photo, Alexandra peut utiliser jusqu’à deux pellicules de douze vues. « Le format carré me convient vraiment bien, car je suis très méticuleuse et j’ai besoin de me concentrer sur une scène, un détail, ce que facilite le moyen-format. » Une exigence et une rigueur qui sont de véritables inspirations, nourries par ses lectures. Pour ce travail, il y a eu La poétique de l’espace (Gaston Bachelard) et Hétérotopies, des espaces autres (Michel Foucault). Alexandra demeure une photographe productive qui révèle avec une délicatesse incroyable toute la poésie de ce qu’elle a sous les yeux. C’est, véritablement, une conteuse très douée.

serrano-002
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-003
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-004
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-005
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-006
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-007
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-008
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-009
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-010
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-011
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-012
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-013
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-014
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-015
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-018
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-019
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-020
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-021
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-022
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-023
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-024
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-025
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-026
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
serrano-027
Extrait de “Nesting in the Wolf Tree”, © Alexandra Serrano
Explorez
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
© Charlotte Abramow
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
Sept ans après la publication de son ouvrage Maurice, tristesse et rigolade, Charlotte Abramow rouvre les pages de l’histoire de son...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Elise Jaunet : quand l’intime devient manifeste
© Elise Jaunet
Elise Jaunet : quand l’intime devient manifeste
À travers sa série Faire corps – Journal d’une métamorphose, l’artiste nantaise Elise Jaunet explore la traversée du cancer du...
01 novembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Edward Weston, Shells, 1927 © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents / Edward Weston, Adagp, Paris, 2025. Courtesy Wilson Centre for Photography
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Jusqu’au 21 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie consacre une exposition exceptionnelle à Edward Weston. Intitulée...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Hamza Ashraf : Démo d’amour
We're Just Trying to Learn How to Love © Hamza Ashraf
Hamza Ashraf : Démo d’amour
Hamza Ashraf navigue dans le fleuve des sentiments amoureux et compose We’re Just Trying to Learn How to Love, un zine, autoédité, qui...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
© Laura Menassa
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
Entre journal intime visuel et témoignage collectif, le travail de Laura Menassa explore la fragilité et la résilience au cœur de...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
La sélection Instagram #531 : dans le brouillard
© Francesco Topino / Instagram
La sélection Instagram #531 : dans le brouillard
Le ciel s’assombrit, les températures chutent. La vision se brouille. Alors que l’automne nous enveloppe dans une brume quotidienne, les...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
© Charlotte Abramow
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
Sept ans après la publication de son ouvrage Maurice, tristesse et rigolade, Charlotte Abramow rouvre les pages de l’histoire de son...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #564 : Lycien-David Cséry et Ana da Silva
© Ana da Silva
Les coups de cœur #564 : Lycien-David Cséry et Ana da Silva
Lycien-David Cséry et Ana da Silva, nos coups de cœur de la semaine, prêtent attention aux détails. Le premier observe les objets et les...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger