Il y a des cris enjoués d’enfants, qui se perdent en échos dans les arbres. Des cris que seul un silence concentré face à l’effort interrompt. Et le temps qui, à l’âge adulte, ne les invoque qu’en souvenirs. Ceux-là appartiennent à Alexandra. Petite, elle en a arpenté des sentiers. Qu’est-ce qu’un enfant peut bien chercher au fond des bois ? Un refuge, un espace éphémère n’appartenant qu’à lui. La cabane.
En 2012, Alexandra vient de terminer ses études. Elle retourne chez elle, à Fontainebleau. C’est la période des doutes, des hésitations. Alors pour échapper aux incertitudes, la photographe se rend régulièrement dans la forêt, qu’elle connaît par cœur. « C’est un endroit qui m’apaise. À force de m’y balader, j’ai un jour pris conscience qu’il fallait que je travaille dessus », raconte la photographe, « et dans une forêt, il y a tout le temps des cabanes. [En redécouvrant] Fontainebleau, je me suis aperçue qu’il y en avait aux mêmes endroits où je me rendais petite. En fait, il y a là-bas des lieux très précis où des générations d’enfants construisent quasiment les mêmes cabanes. » Alexandra tient son sujet.
Pendant deux ans, elle explore sur son temps libre la forêt de son enfance. Elle arpente les chemins, découvre des grottes inquiétantes, rassemble des branches et reconstruit les mêmes cabanes que la fillette qu’elle a été un jour. « Tout mon travail est lié à l’enfance, et aux souvenirs que j’en ai gardé », explique-t-elle. La différence avec Nesting in the Wolf Tree, c’est que l’imaginaire y tient une place primordiale. Les 27 images retenues dans son editing final évoquent avec force la puissance symbolique de la forêt.
C’est à la fois un refuge ; un lieu d’aventure, où les héros malheureux des contes doivent se confronter aux épreuves de la vie ; un écrin de solitude. Pour celui ou celle qui s’y confronte, la forêt est un terrain d’introspection. C’est pourquoi Nesting in the Wolf Tree est aussi un témoignage très personnel. « Pourtant, quand j’ai commencé, je n’envisageais pas le projet sous cet angle. Je m’intéressais davantage à l’expérience des autres. J’ai fait pas mal de portraits de gens, à qui je demandais de me raconter leurs souvenirs de cabanes. » Petit à petit pourtant, la forêt jusque là un peu lointaine s’impose dans les réflexions d’Alexandra. Puis un stage à Arles avec Claudine Doury lui révèle ce que doit être le propos de sa série : sa mémoire à elle. C’est d’ailleurs à Arles qu’elle réalise les images les plus difficiles de sa série.
Car Alexandra ne laisse rien au hasard. Chaque image de la série naît d’abord d’un croquis. Puis c’est plusieurs heures de travail. Pour une photo, Alexandra peut utiliser jusqu’à deux pellicules de douze vues. « Le format carré me convient vraiment bien, car je suis très méticuleuse et j’ai besoin de me concentrer sur une scène, un détail, ce que facilite le moyen-format. » Une exigence et une rigueur qui sont de véritables inspirations, nourries par ses lectures. Pour ce travail, il y a eu La poétique de l’espace (Gaston Bachelard) et Hétérotopies, des espaces autres (Michel Foucault). Alexandra demeure une photographe productive qui révèle avec une délicatesse incroyable toute la poésie de ce qu’elle a sous les yeux. C’est, véritablement, une conteuse très douée.