Jusqu’au 22 septembre, l’œuvre d’Evangelia Kranioti est exposée à la Chapelle du Méjan, dans le cadre des Rencontres d’Arles. Un travail sublime et philosophique, aux influences baroques.
Dans le grand espace de la Chapelle du Méjan, à Arles, se trouve l’œuvre envoûtante d’Evangelia Kranioti. La photographe athénienne, installée à Paris est diplômée des Arts décoratifs et du Fresnoy-Studio national des arts contemporains. Un cursus qui lui a permis de découvrir le design, la communication visuelle, la vidéo et le cinéma. Autant de domaines qui ont alimenté sa vision du 8e art. « Pour moi, la photographie est une manière d’utiliser le réel à mes fins. L’image est la matière première à partir de laquelle je crée d’autres projets », explique l’artiste. Transcender le réel, telle est l’ambition d’Evangelia Kranioti. Si l’auteure ne s’est jamais réellement sentie photographe, elle s’est servie de cette ambivalence pour se plonger dans des travaux où l’image devient un élément soutenant une émotion. « Cela s’est traduit par des projets documentaires ou de fiction », précise-t-elle.
L’exposition Les vivants, les morts et ceux qui sont en mer marque un double anniversaire. « Le festival fête ses cinquante ans tandis que je complète environ dix ans de travail artistique », confie l’artiste. Un cadeau inattendu, qui a engendré une certaine réflexion. En travaillant sur la mise en place de l’événement, aux côtés de Matthieu Orléan, commissaire de l’exposition, et Sam Stourdzé, directeur des Rencontres, la photographe a souhaité confronter dans un même espace plusieurs travaux, mêlant images fixes et en mouvement. « Le pari était d’immerger le spectateur dans un univers. Pour cela, je me suis questionnée : qu’est-ce qui me pousse à créer ce corps d’images ? Qu’est-ce que je cherche à mettre en relation ? Quelles sont les constantes, les thématiques communes ? » s’interroge-t-elle.
Le réel et ses interprétations
Théâtrales et dramatiques, les images trônent dans une scénographie immersive et poétique. Au cœur de la Chapelle et au centre de l’exposition, trône un espace aux parois sombres à l’atmosphère tropicale. Sur les murs se trouvent des portraits de la communauté queer de Rio de Janeiro. Une série suave et sensuelle, en écho avec le décor. « Je souhaitais remettre en question la représentation d’une image : comment la mettre en scène pour qu’elle suscite une émotion », précise Evangelia Kranioti. Dans ce lieu sombre et mystérieux, ombres, lumières et sons submergent et emportent le visiteur dans un monde à part. De part et d’autre de cet étrange îlot, d’autres portraits attirent le regard : des marins nouant des relations éphémères à leur retour sur terre, des jeunes domestiques étrangères tentant de se faire une place au Liban, ou encore des vivants en route vers la demeure des défunts au Caire.
Influencée par la peinture, le cinéma et la littérature – notamment les œuvres du Caravage, de David Lynch et les tragédies grecques – la photographe sublime des personnages en marge de la société dans un baroque délicat. « J’étudie les questions d’exil, de déplacement, et j’interroge la place d’un être humain égaré dans un monde devenu théâtre d’événements sociopolitiques, précise Evangelia Kranioti. Je m’intéresse à ces gens qui inventent, résistent et vivent leur vie à travers leurs propres fictions. » L’artiste ne croit pas au réel, mais à ses interprétations, et cherche sans cesse à rapprocher ses modèles de leur propre réalité. Une œuvre digne des récits époustouflants et des émotions fortes des épopées, à la croisée de la mise en scène et du documentaire, du réel et de la fiction.
© Evangelia Kranioti