Du silence aux images : le mentorat des Filles de la photo

12 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Du silence aux images : le mentorat des Filles de la photo
© Claire Delfino
Prêtre
© Soum Eveline Bonkoungou
Une plage
© Safia Delta

Quand la photographie devient le lieu d’un tissage mémoriel, politique et sensible, le mentorat des Filles de la Photo affirme toute sa pertinence. La troisième édition des Expérimentales en est l’éclatante démonstration. Du 12 septembre au 12 octobre 2025, à la Galerie de l’Académie du Climat, une exposition présente les œuvres des cinq participantes au programme à l’occasion de la biennale Photoclimat. Nous y découvrirons les travaux de Claire Delfino, Soum Eveline Bonkoungou, Hélène Jayet, Lydia Saidi et Safia Delta.

Les Expérimentales #3, présentée à l’Académie du Climat dans le cadre de la biennale Photoclimat, célèbre cinq trajectoires singulières réunies par un même fil : faire de la photographie un geste de résistance et d’affirmation. Pensée comme la restitution d’un programme de mentorat porté par l’association Les Filles de la Photo, cette exposition témoigne d’une alliance féconde entre transmission, accompagnement et création. Depuis 2020, ce dispositif soutient l’émergence de talents féminins dans le paysage photographique, en réponse à un constat encore trop évident : la sous-représentation persistante des femmes et des personnes minorisées dans les circuits de légitimation artistique. En associant chaque lauréate à un binôme de professionnelles – commissaires, agentes, directrices artistiques – le programme favorise non seulement la maturation de projets complexes, mais crée aussi un écosystème de soutien entre pairs. Cette édition 2024-2025 fait la part belle à des pratiques engagées, hybrides et profondément ancrées dans l’intime. Qu’il soit question de sororité diasporique (Mes frères et sœurs de Soum Eveline Bonkoungou), de soins psychiques (Archipel du soin de Claire Delfino), d’affirmation capillaire (Chin Up! d’Hélène Jayet) ou de mémoire musicale (Les autres filles du raï de Lydia Saidi), chaque œuvre déplace les récits dominants et affirme des contrechamps nécessaires. Et parfois, la photographie ne documente plus seulement : elle creuse, incise et recompose. C’est dans cette veine que s’inscrit le travail de Safia Delta, auquel nous portons un regard attentif.

Chanteuse en noir et blanc
© Lydia Saidi
Main blanche
© Safia Delta

Safia Delta, reconstituer une mémoire en fragments

Au cœur de cette constellation, l’œuvre de Safia Delta déploie un langage photographique d’une densité rare, capable de reconstituer une mémoire en fragments. La Réplique, sa série présentée aux Expérimentales, est à la fois un geste d’archive, de montage et de réinvention. À partir de matériaux visuels anciens – cartes postales, photographies, négatifs – collectés entre 1830 et nos jours, l’artiste construit une narration à rebours, résolument critique face aux angles morts de l’histoire coloniale franco-algérienne. Ce travail de fouille visuelle ne se limite pas à une réhabilitation des figures absentes : il interroge les mécanismes mêmes du silence. Que produit l’image quand elle est lacunaire, oblitérée ou falsifiée ? Safia Delta ne cherche pas à combler les vides, mais à leur donner forme, en les rendant palpables. Elle compose un espace de résonance où les corps, les gestes et les paysages deviennent porteurs d’une mémoire qui échappe aux récits officiels.

Dans une tension permanente entre absence et présence, ses compositions mettent en scène des silhouettes « hors-sol », comme suspendues, résistantes à l’effacement. Le titre même, La Réplique, évoque à la fois l’écho d’un passé non digéré et l’acte de répondre : à l’histoire, au regard, au traumatisme. Car ici, répliquer, c’est reconfigurer le visible. Safia Delta se distingue par une approche protéiforme : manipulation des images, interventions manuelles, agencements fragmentés. Son œuvre, à la croisée des pratiques plastiques et documentaires, révèle une poétique de la brèche. Elle ne donne pas à voir un passé figé, mais un présent hanté de mémoires inachevées, appelant réparation, justice et transmission. Engagée auprès d’autres photographes issu·es de la diaspora nord-africaine, l’artiste déploie une pratique collective de la mémoire, où les images deviennent des outils de lien autant que de lutte. En ce sens, La Réplique est bien plus qu’une œuvre : c’est un dispositif politique sensible, un appel à complexifier notre regard.

Portrait dans la rue
© Soum Eveline Bonkoungou
Portrait frontal
© Claire Delfino
Cheveux relaxés et frisés
© Hélène Jayet
Tresses
© Hélène Jayet
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