Cette année, les Rencontres d’Arles exposent trois travaux passionnants de jeunes diplômé·es de l’École nationale supérieure de photographie, sélectionnés par la curatrice Yasmine Chemali, directrice du Centre de la photographie de Mougins. Trois écritures, trois manières de « faire image », comme elle le formule. À découvrir à la Croisière jusqu’au 5 octobre 2025.
Celle que l’on découvre en premier n’est pas la plus photographique, et pourtant, elle partage la même intention : construire une vision. Les compositions de Mathis Clodic dessinent un monde imaginaire entièrement produit en 3D, soit les ruines d’un jeu vidéo autrefois adulé, et désormais délaissé. Call of Duty: Modern Warfare 2, jeu de tir à la première personne, y devient un décor brumeux, où se rejoue une forme d’apocalypse. On y croise des références romantiques – « Le Dormeur du val » de Rimbaud, accompagné des images d’un soldat mort – et des visions étranges, comme celle d’un hélicoptère en feu, resté figé dans son crash depuis 2009, ou d’avatars errants, dans une solitude absolue. Ce monde suspendu, Mathis Clodic le met en scène avec une sensibilité inattendue et une belle élégance. « Son œuvre est révélatrice d’une tendance aujourd’hui à vouloir naviguer entre les images fixes, l’usage croissant de la vidéo ou une hybridation technique », explique Yasmine Chemali.
Une ville qui s’effondre toujours
Toujours dans un registre contemplatif, mais plus frontal et ancré dans le réel, le travail de Rıfat Göbelez raconte un territoire ravagé pour en faire l’archéologie. Antioche, ville historique de Turquie surnommée la « ville des civilisations », repose sur un sol instable, continuellement menacé. Le jeune photographe a saisi les ravages des deux séismes de 2023, et a choisi d’en montrer l’inscription dans le paysage et le caractère cyclique, dans une démarche qui ne cherche pas à dramatiser – à rebours d’une médiatisation qui présente ces événements comme exceptionnels. « Dans une résistance silencieuse, ses photographies dénoncent, avec une grande justesse, le discours de la catastrophe et le voyeurisme de l’événement, prisme souvent choisi par les médias pour évoquer le tremblement de terre », déclare Yasmine Chemali à son propos. Entièrement en noir et blanc, les différentes séries qui composent le large projet Antioche(s) témoignent avec émotion de ce territoire qui s’effondre, tout en révélant la vitalité qui y persiste.
Des gestes pour habiter notre monde
« L’image devient un espace de circulation, un médium poreux qui est traversé par d’autres matériaux et par d’autres registres. Cette génération ne cherche pas à produire du spectaculaire mais à construire des relations – à un territoire, à un corps, à une mémoire ou à une fiction », poursuit la commissaire. C’est aussi ce qui traverse le projet gestes magiques, gestes politiques de Calista Bizzari Malou. Les images sont accompagnées de textes poétiques, presque documentaires, qui racontent les étapes de travail et les environnements de deux jeunes femmes : Martha, bergère dans les Pyrénées-Atlantiques, et Brune Pâris, herboriste à Marseille. Deux trajectoires qui renouent, par leurs gestes, avec le vivant. Là encore, on trouve une grande attention aux détails, aux rythmes du quotidien et en particulier au soin. « J’espère que ces œuvres inviteront à ralentir, à regarder autrement, confie Yasmine Chemali. À s’interroger sur ce qui reste, sur ce que l’on choisit de garder ou de transmettre. Elles ouvrent des brèches et suggèrent que le réel est fait de strates, de silences et de gestes ténus. » Elles rappellent que l’image, en effet, peut encore être un lieu d’écoute et de lenteur salvatrice.