Faits divers : savoir mener l’enquête

13 février 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Faits divers : savoir mener l’enquête
© Claude Closky, Soucoupe volante, rue Pierre Dupont (6), 1996.
© Nicolas Daubanes, Les sœurs Papin, 2021.

Au Mac Val, à Vitry-sur-Seine (94), l’exposition collective Faits divers – Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse propose une immersion nuancée dans l’illustration du crime, son impactante réalité et sa fictionnalisation.

« Le fait divers comme catégorie journalistique a une emprise sur les pratiques artistiques. Les magazines portent toute une culture visuelle de ces récits. Les événements relatés sont parfois fictifs, le spectre de la véracité est large. Ces paramètres nous ont donné beaucoup de liberté pour produire des zones d’incertitude. Les faits présentés sont-ils réels ? Il vous faut avoir une posture d’enquêteur·ice pour le savoir. » C’est en ces mots que Vincent Lavoie, historien de la photographie et co-commissaire, introduit l’exposition du Mac Val (musée d’Art contemporain du Val-de-Marne). Sur les cimaises plongées dans la pénombre du musée, installations, tableaux, images, vidéos et objets se révèlent comme autant d’indices nous invitant à élucider le mystère. Une série de cinq « équations », pensées de la plus littérale (l’univers judiciaire et l’enquête) à la plus complexe (le trouble qui règne, l’absence de preuve ou la certitude). « Nous avons eu l’idée d’un abécédaire “cassé” pour organiser les œuvres. Et si le crime intéresse énormément les artistes et curateur·ices, peu d’expositions ont ouvert la thématique à d’autres médiums que la photographie. Nous avons donc souhaité ici une répartition égale des arts », précise Nicolas Surlapierre, directeur du Mac Val et co-commissaire.

Quatre-vingts auteur·ices et plus d’une centaine d’œuvres surgissent ainsi de l’ombre, formant cinq blocs d’informations d’où émergent autant de preuves potentielles que de fausses pistes : « Au nom de la loi » (Équation à une inconnue), « Scénario catastrophe » (deux), « Faire violence » (trois), « Ouvrir l’œil » (quatre) et « L’ombre d’un doute » (cinq). En leur sein, cinq ou six lettres de l’alphabet nous familiarisent avec le champ lexical du fait divers. Le F devient celui du féminicide, le K celui des kidnappings, le M représente les médias, et le V nous rappelle au vraisemblable. Un vaste horizon soulignant l’ambition des commissaires. « [Roland Barthes] place une frontière entre l’information et le fait divers, qui, d’après lui, ne peut pas être de nature politique », explique Nicolas Surlapierre, avant d’ajouter : « Je pense qu’il y a une façon fait-diversière de traiter la politique. Tout sujet peut, en fait, relever du fait divers selon la manière dont il est traité. »

© Teresa Margolles, ¿Por qué van corriendo esas putas?, 2012.
© Christian Patterson, You Can’t Run Away From Anything, série Redheaded Peckerwood, 2011.

Une énigme à résoudre

Au sein des espaces naît alors une « langue » du fait divers, aux nuances subtiles. Loin de tout sensationnalisme, les commissaires entendent la cerner dans sa globalité, faire la part belle à l’indécision, aux limites de ces histoires qui nous hantent – à ce qui reste, une fois le récit découvert. En témoigne par exemple la vidéo de Pascal Bernier, Flowers Serial Killer. Employant différents outils (un marteau, une enclume, un verre d’eau), l’artiste réimagine la définition d’une « nature morte » en malmenant des fleurs comme des tueur·ses tortureraient leurs victimes. Un travail d’une violence incroyable, parvenant à faire comprendre sans rien montrer. Tout comme les Preuves d’amour de Camille Gharbi mettant en scène les objets du quotidien utilisés lors de féminicides. Angela Strassheim s’approprie quant à elle les techniques médico-légales pour révéler, dans des jets abstraits, les traces de sang essuyées à la suite d’actes criminels, faisant de ces lieux sordides des tableaux à l’horreur esthétisée. En parallèle, Yann Toma développe, avec Crimes sur commande, une théâtralité du crime : le photographe propose à ses modèles de mimer une mort violente qu’il fige dans un noir et blanc dramatique au cadre maîtrisé.

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #69.

À lire aussi
Angela Strassheim : crime éclairé
Preuve n°10. Evidence © Angela Strassheim
Angela Strassheim : crime éclairé
Formée à la photographie médico-légale, Angela Strassheim pose le décor d’énigmes non élucidées dans sa série Evidence. Puisant dans les…
16 janvier 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les mystères de Weegee
Collection Galerie Berinson, Berlin © Weegee Archive / International Center of Photography, New York.
Les mystères de Weegee
Pour ses cinquante ans, l’International Center of Photography (ICP) de New York a organisé une exposition dans laquelle ont été…
23 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Fisheye #69 : éveiller les soupçons
© Mark Mahaney
Fisheye #69 : éveiller les soupçons
En ce début d’année, Fisheye éveille la curiosité qui sommeille en nous en consacrant son premier numéro de 2025 à une thématique…
08 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
Les Rencontres d’Arles dévoilent la programmation de leur édition 2025
© Photographe amateur anonyme. Sans titre, Houlgate, France, 1931. Avec l’aimable autorisation de l’ancienne Collection Marion et Philippe Jacquier / Don de la Fondation Antoine de Galbert au musée de Grenoble.
Les Rencontres d’Arles dévoilent la programmation de leur édition 2025
La programmation de la 56e édition des Rencontres d’Arles vient d’être dévoilée. La plupart des expositions présentées répondront au...
21 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Disparition d’Agnès de Gouvion Saint-Cyr
Portrait d'Agnès de Gouvion Saint-Cyr, 1980 © Georges Tourdjman
Disparition d’Agnès de Gouvion Saint-Cyr
Agnès de Gouvion Saint-Cyr, la grande dame photo du ministère de la Culture durant plus de trois décennies, vient de s’éteindre le 15...
19 mars 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
Le Paris d’Agnès Varda au musée Carnavalet
Agnès Varda, Autoportrait dans son studio, rue Daguerre, Paris 14e, 1956 © Succession Agnès Varda
Le Paris d’Agnès Varda au musée Carnavalet
Du 9 avril au 24 août 2025, le musée Carnavalet met à l’honneur Agnès Varda à travers l’exposition Le Paris d’Agnès Varda, de-ci, de-là....
19 mars 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Xiaofu Wang et le récit d'une tour, symbole d'un passé nostalgique
The Tower © Xiaofu Wang
Xiaofu Wang et le récit d’une tour, symbole d’un passé nostalgique
Arrivant à Belgrade pour rendre visite à un·e ami·e, la photographe sino-australienne Xiaofu Wang, alors étudiante à la Ostkreuzschule –...
18 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
9 expositions photographiques à découvrir en mars 2025
Trace Jaune © Etienne Francey
9 expositions photographiques à découvrir en mars 2025
L’arrivée du printemps fait également fleurir de nombreuses expositions. Pour occuper les journées qui s’allongent ou les week-ends...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les Rencontres d’Arles dévoilent la programmation de leur édition 2025
© Photographe amateur anonyme. Sans titre, Houlgate, France, 1931. Avec l’aimable autorisation de l’ancienne Collection Marion et Philippe Jacquier / Don de la Fondation Antoine de Galbert au musée de Grenoble.
Les Rencontres d’Arles dévoilent la programmation de leur édition 2025
La programmation de la 56e édition des Rencontres d’Arles vient d’être dévoilée. La plupart des expositions présentées répondront au...
21 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le langage des fleurs selon des photographes de Fisheye
© Jana Sojka
Le langage des fleurs selon des photographes de Fisheye
Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter les préoccupations de notre époque. Parmi les motifs qui reviennent fréquemment se...
20 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Steph Wilson : Une provoc' à soi
Self (WIP) © Steph Wilson
Steph Wilson : Une provoc’ à soi
Entre satire esthétique et image de mode, l'artiste britannique Steph Wilson compose sa série d’autoportraits Self (WIP), un work in...
20 mars 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas