Dans Father, Diana Markosian prolonge le récit intime qu’elle avait entamé avec Santa Barbara, qui revenait alors sur son départ précipité, à l’âge de 7 ans, pour les États-Unis. Ce nouvel ouvrage, publié aux éditions Ateliers EXB, témoigne d’une volonté de renouer avec son père qu’elle n’a pas vu pendant quinze ans.
Une forme gris clair orne un petit volume de velours rouge. Au bas de celui-ci, le mot « father » est inscrit en lettres dorées. À l’intérieur se découvre un premier tirage. Une personne, se tenant à la gauche d’une enfant, a été effacée. Les quelques phrases sur les pages qui suivent nous aident à rassembler ces fragments : « Tout au long de ma vie, mon père n’a représenté qu’une silhouette dans l’album de famille. À l’âge de 7 ans, ma mère nous a réveillé mon frère et moi dans notre appartement à Moscou et nous a dit de faire nos valises. […] Elle a découpé sa photo dans tous les albums de famille. Pour moi, ces espaces vides l’ont rendu plus difficile à oublier. » Au cours de sa jeunesse, Diana Markosian, qui signe ce texte, a été bercée par l’absence, par l’espoir et les doutes qui s’immiscent dans les brèches de l’incertitude. « Je me suis souvent demandé ce que le fait d’avoir un père aurait pu représenter. Je me le demande encore aujourd’hui », poursuit-elle.
144 pages
45 €
Un voyage intime aux confins de la mémoire
Le reste de l’ouvrage prolonge ce mouvement. La recherche d’un absent se dévoile dans un entremêlement d’archives, de photographies documentaires et de portraits de son père qu’elle a finalement retrouvé en Arménie, des années plus tard. Ses parents se sont séparés avant sa naissance. Avant le grand départ pour la Californie, il venait toujours leur rendre visite, à son frère et elle. Au fil des pages, des textes nous apportent ces précisions, relèvent des réminiscences faites de pensées persistantes et de bribes de conversations appartenant à des temporalités différentes. « Pourquoi ça t’a pris si longtemps ? », interroge ainsi le père. La quête était mutuelle. Les centaines de lettres qu’il a adressées en vain aux ambassades, à la police, un peu partout en témoignent. Il y a les réponses des autorités américaines et les enveloppes qui lui sont revenues. Il y a même une coupure de presse avec un avis de recherche.
« Sa maison ressemble au musée de mon enfance. Les peintures à l’huile de mon grand-père et nos photos de famille décorent les murs. Des boîtes en fer-blanc à pois jonchent les étagères de la cuisine. Les jouets d’enfance de mon frère sont rangés dans un placard », soulève l’artiste. Father s’impose comme une manière de figer ces retrouvailles afin que ce père évanescent ne lui échappe plus. Il s’agit d’un voyage intime aux confins de la mémoire, de l’écriture d’un présent imparfait et de la tentative d’esquisser un futur ensemble. Tout n’est pas simple, il faut du temps. La photographie du début achève d’ailleurs l’ouvrage. Preuve d’une évolution, cette fois-ci, les morceaux ont été recollés. Le spectre n’est plus, la silhouette découpée a repris ses traits. L’optimisme, peut-être, a comblé le vide. Dans la volonté de partager sa démarche, Diana Markosian a glissé une enveloppe destinée à reprendre contact, à notre tour, avec un être familier devenu étranger à notre existence. Les lettres reçues pourront être intégrées à la scénographie d’une exposition à venir.