Father : Diana Markosian fige ses retrouvailles avec un père dont elle a été séparée

28 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Father : Diana Markosian fige ses retrouvailles avec un père dont elle a été séparée
Extrait de Father (Atelier EXB Paris, 2024) © Diana Markosian
Photographie de Diana Markosian montrant son père dans l'obscurité
Extrait de Father (Atelier EXB Paris, 2024) © Diana Markosian

Dans Father, Diana Markosian prolonge le récit intime qu’elle avait entamé avec Santa Barbara, qui revenait alors sur son départ précipité, à l’âge de 7 ans, pour les États-Unis. Ce nouvel ouvrage, publié aux éditions Ateliers EXB, témoigne d’une volonté de renouer avec son père qu’elle n’a pas vu pendant quinze ans.

Une forme gris clair orne un petit volume de velours rouge. Au bas de celui-ci, le mot « father » est inscrit en lettres dorées. À l’intérieur se découvre un premier tirage. Une personne, se tenant à la gauche d’une enfant, a été effacée. Les quelques phrases sur les pages qui suivent nous aident à rassembler ces fragments : « Tout au long de ma vie, mon père n’a représenté qu’une silhouette dans l’album de famille. À l’âge de 7 ans, ma mère nous a réveillé mon frère et moi dans notre appartement à Moscou et nous a dit de faire nos valises. […] Elle a découpé sa photo dans tous les albums de famille. Pour moi, ces espaces vides l’ont rendu plus difficile à oublier. » Au cours de sa jeunesse, Diana Markosian, qui signe ce texte, a été bercée par l’absence, par l’espoir et les doutes qui s’immiscent dans les brèches de l’incertitude. « Je me suis souvent demandé ce que le fait d’avoir un père aurait pu représenter. Je me le demande encore aujourd’hui », poursuit-elle. 

Éditions Atelier EXB
144 pages
45 €
Photographie de Diana Markosian montrant son père regardant les négatifs d'une pellicule
Extrait de Father (Atelier EXB Paris, 2024) © Diana Markosian
Photographie de Diana Markosian montrant une valise contenant les archives de son père
Extrait de Father (Atelier EXB Paris, 2024) © Diana Markosian

Un voyage intime aux confins de la mémoire

Le reste de l’ouvrage prolonge ce mouvement. La recherche d’un absent se dévoile dans un entremêlement d’archives, de photographies documentaires et de portraits de son père qu’elle a finalement retrouvé en Arménie, des années plus tard. Ses parents se sont séparés avant sa naissance. Avant le grand départ pour la Californie, il venait toujours leur rendre visite, à son frère et elle. Au fil des pages, des textes nous apportent ces précisions, relèvent des réminiscences faites de pensées persistantes et de bribes de conversations appartenant à des temporalités différentes. « Pourquoi ça t’a pris si longtemps ? », interroge ainsi le père. La quête était mutuelle. Les centaines de lettres qu’il a adressées en vain aux ambassades, à la police, un peu partout en témoignent. Il y a les réponses des autorités américaines et les enveloppes qui lui sont revenues. Il y a même une coupure de presse avec un avis de recherche. 

« Sa maison ressemble au musée de mon enfance. Les peintures à l’huile de mon grand-père et nos photos de famille décorent les murs. Des boîtes en fer-blanc à pois jonchent les étagères de la cuisine. Les jouets d’enfance de mon frère sont rangés dans un placard », soulève l’artiste. Father s’impose comme une manière de figer ces retrouvailles afin que ce père évanescent ne lui échappe plus. Il s’agit d’un voyage intime aux confins de la mémoire, de l’écriture d’un présent imparfait et de la tentative d’esquisser un futur ensemble. Tout n’est pas simple, il faut du temps. La photographie du début achève d’ailleurs l’ouvrage. Preuve d’une évolution, cette fois-ci, les morceaux ont été recollés. Le spectre n’est plus, la silhouette découpée a repris ses traits. L’optimisme, peut-être, a comblé le vide. Dans la volonté de partager sa démarche, Diana Markosian a glissé une enveloppe destinée à reprendre contact, à notre tour, avec un être familier devenu étranger à notre existence. Les lettres reçues pourront être intégrées à la scénographie d’une exposition à venir.

À lire aussi
Serial story
© Diana Markosian
Serial story
Alors qu’elle n’a que sept ans, Diana Markosian quitte sa Russie natale pour les États-Unis – un déménagement précipité par sa mère, en…
08 septembre 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Mettre en image la famille : des histoires de pertes et de retrouvailles
© Ashley Markle
Mettre en image la famille : des histoires de pertes et de retrouvailles
Parmi les sujets abordés sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine se trouvent les liens familiaux En cette période…
28 décembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Sarah Bahbah : écran d’intimité
© Sarah Bahbah
Sarah Bahbah : écran d’intimité
Sarah Bahbah a imaginé Can I Come In?, un format immersif à la croisée du podcast, du film et du documentaire. Dans les six épisodes qui...
18 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les missives intimes de Julian Slagman
A Bread with a Sturdy Crust, de la série A Failed Attempt to Photograph Reality © Julian Slagman
Les missives intimes de Julian Slagman
Avec A Failed Attempt to Photograph Reality Julian Slagman compose des lettres personnelles qui mêlent des images monochromes et des...
17 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #537 : bandes de copines
© Natural Johnson / Instagram
La sélection Instagram #537 : bandes de copines
Dans notre sélection Instagram de la semaine, les artistes célèbrent l’amitié féminine et la sororité. Sur leurs photographies, des...
16 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Italie, Sicile, Taormine, 1981 © Raymond Depardon / Magnum Photos
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Après huit mois de travaux pour rénovation, le Pavillon populaire de Montpellier rouvre ses portes. À cette occasion, le musée...
10 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 15 décembre 2025 : hommage, copines et cartes postales
© Ashley Bourne
Les images de la semaine du 15 décembre 2025 : hommage, copines et cartes postales
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, nous rendons hommage à Martin Parr, vous dévoilons des projets traversés par l’énergie d’une...
21 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Chad Unger, feu tranquille
© Chad Unger
Chad Unger, feu tranquille
Chad Unger est l’auteur de la série au titre étrange et poétique Fire Barked At Eternity – littéralement « le feu aboya à l’éternité »....
20 décembre 2025   •  
Écrit par Milena III
4 livres à offrir à Noël : partons en vadrouille
American Album © Eloïse Labarbe-Lafon
4 livres à offrir à Noël : partons en vadrouille
Noël approche. À cette occasion, la rédaction de Fisheye vous concocte des sélections de ses livres photo préférés, que vous...
19 décembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Sarah Bahbah : écran d’intimité
© Sarah Bahbah
Sarah Bahbah : écran d’intimité
Sarah Bahbah a imaginé Can I Come In?, un format immersif à la croisée du podcast, du film et du documentaire. Dans les six épisodes qui...
18 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet