Lauréat du prix FUJIFILM Circulation(s) 2022, Felipe Romero Beltrán expose sa nouvelle série Dialect au sein du festival de la jeune photographie européenne, au Centquatre-Paris, jusqu’au 29 mai. Son travail sur un groupe de jeunes migrants en attente d’un statut légal, qui associe photographie et vidéo au croisement du documentaire et de la fiction, a fait l’unanimité du jury.
Ils sont jeunes, en short ou torse nu, immobiles, statiques, comme figés dans le temps. Les migrants photographiés par Felipe Romero Beltrán à Séville depuis 2020 sont en attente de normalisation de leur statut, une période transitoire qui peut durer entre un et trois ans selon la juridiction espagnole. Le temps pour l’administration de décider si ces mineurs qui viennent de traverser le détroit de Gibraltar – frontière maritime entre le Maroc et l’Espagne – en évitant les contrôles douaniers peuvent accéder à un statut légal dans le pays. Alors le temps s’étire indéfiniment et les corps s’ennuient. « Les photographies explorent différentes expériences, où le corps entre en dialogue avec les souvenirs », explique le photographe, qui a commencé ce travail en 2020 et projette de le terminer quand les jeunes hommes obtiendront leur autorisation de résidence, fin 2022 ou début 2023.
Plonger dans le temps de l’attente
Felipe Romero Beltrán a l’habitude de traiter des questions sociales dans son approche photographique qui associe l’écriture documentaire et les codes de la fiction. « Dans le projet, le documentaire et la fiction coexistent, ou plutôt se contaminent mutuellement », détaille l’auteur né à Bogota en 1992, et qui réside aujourd’hui en Espagne où il prépare un doctorat en photographie. Ces images se donnent à voir comme des tableaux photographiques, comme les photogrammes d’un film muet où le temps s’est figé. « La notion d’immobilité m’intéresse en photographie, poursuit le photographe. La dialectique que présentent le corps immobile et l’objet immobile me permet de plonger dans ce temps – hors la loi – de l’attente. » La scénarisation des images est assumée : certaines sont des « recréations d’événements antérieurs et font référence à un événement réel », d’autres sont « des événements de la vie quotidienne, mais en même temps je décide de ce que je vais montrer. Tout comme les jeunes qui décident de ce à quoi ils me donnent accès. Il s’agit toujours de la construction d’un récit », explique encore l’auteur.
Pour prolonger notre questionnement, le photographe se fait vidéaste et demande aux jeunes migrants de lire, face caméra, les quatre premières pages de la loi espagnole sur l’immigration, le document qui régit et contrôle leur statut migratoire. Le ton se fait alors hésitant : « Ils essaient de les lire, mais ils ne les comprennent pas. La loi sur l’immigration comporte de multiples terminologies techniques pour définir une personne, et même pour un locuteur natif comme moi, précise l’auteur, il est difficile de tout comprendre. » Ces vidéos sont présentées en regard des images fixes et semblent en être les voix off, des paroles indécises qui répondent à une situation précaire. La scénographie efficace, cosignée par le photographe et l’équipe de Fetart – organisatrice du festival –, est installée en extérieur, un espace gratuit et en libre accès, une condition déterminante pour Felipe Romero Beltrán.
Le prix FUJIFILM Circulation(s), dont Fisheye est partenaire, permet au lauréat de recevoir une dotation de matériel professionnel FUJIFILM composé d’un kit X-T4 + XF18-55 mm. Un soutien qui lui permettra non seulement de continuer son projet Dialect, toujours en cours, mais aussi de poursuivre ses autres recherches photographiques.
© Felipe Romero Beltrán