Depuis la publication du hors-série illustrant la sous-représentation des femmes photographes en 2017, Fisheye n’a cessé de rendre compte de l’évolution de la situation. Les spécialistes de l’image font le point.
« 36 % de femmes exposées à Paris Photo, ce n’est pas encore assez », titrait Le Monde en novembre dernier lors de la publication d’un entretien avec l’ancienne ministre de la Culture, Rima Abdul Malak. Un chiffre qui a suscité de vives réactions, entre autres parce que les statistiques officielles sur la question de l’équité et les données connues sur la présence des femmes dans la photographie restent peu nombreuses. Or, elles sont très attendues. « Si on ne compte pas, on n’a pas conscience du problème », réagit Sabrina Ponti, codirectrice des Filles de la Photo.
Ce que l’on sait, c’est qu’en France, le salaire mensuel médian pour les femmes photographes est de 1000 € par mois contre 1 400 € pour les hommes (« La photographie en France au prisme du genre », 2014-2019, ministère de la Culture). Entre novembre 2017 et novembre 2020, 93 % des photos publiées dans Télérama ont été signées par des hommes, et 9 femmes sur 10 ont déjà renoncé à soumettre leur projet parce qu’il ne semblait pas assez abouti à leurs yeux (Observatoire de la mixité, Les Filles de la Photo, 2021). Ce n’est pas tout. Seulement 26 % des collections photographiques du Centre national des arts plastiques (CNAP) et 24 % de celles du Centre Pompidou émanent d’artistes femmes (Elles × Paris Photo, novembre 2021, d’après la base de données Videomuseum). Par ailleurs, 66 % des femmes photographes ont déjà été victimes de remarques sexistes, contre 10 % des hommes (Observatoire de la mixité, Les Filles de la Photo, 2021). Cette même année, selon la mission diversité-égalité du ministère de la Culture, seules 42 % de femmes ont été programmées sur 19 grands festivals de photographie. Le ton est donné. Preuve que le changement des mentalités, les mobilisations, les dispositifs et la médiatisation n’y changent rien. Les femmes et les hommes photographes ne sont pas égaux en matière de reconnaissance financière et artistique.
« La rémunération, c’est le nerf de la guerre. En plus d’avoir des revenus inférieurs à ceux des hommes, elles ont des statuts précaires. »
Cercle vertueux
Toutefois, « les femmes de la nouvelle génération sont plus sûres d’elles. Avant, elles étaient dans les backstages, maintenant, elles sont là où ça pète. J’observe une forme de solidarité, des travaux réalisés en binôme : cette année, nous exposons Marion Esquerré et Juliette Pavy, par exemple », partage Béatrice Tupin, fondatrice du festival Les Femmes s’exposent. Elle a fait de cet événement son mea culpa, en référence à ses années de cheffe du service photo au Nouvel Observateur. « Il y a toujours cette idée que la photographie est un hobby plus qu’un métier pour les femmes. J’arrêterai ce festival quand il y aura plus d’équité », ajoutait-elle quelques jours avant l’ouverture de la 7e édition de la manifestation. En attendant, elle continue d’aller chercher et d’exposer des sujets qui n’ont encore jamais été montrés en France.
Comme elle, Ericka Weidmann, directrice de publication du site 9 Lives Magazine, a reconnu sa part de responsabilité sur le tard. Elle pointe aujourd’hui l’importance de la représentativité : plus elle publie des femmes photographes, plus ces dernières se sentent concernées, et plus elles proposent leurs images. Un cercle vertueux transposable aux prix photo, et notamment à la constitution des jurys. « Elles ne vivent pas de la visibilité. La rémunération, c’est le nerf de la guerre. En plus d’avoir des revenus inférieurs à ceux des hommes, elles ont des statuts précaires », précise celle qui a choisi de ne plus relayer les appels à candidatures ne respectant pas les droits d’auteurices. « Malheureusement, je rencontre des personnalités qui font de la résistance et qui ne nomineront jamais de femmes, sous prétexte qu’il existe déjà bien trop de prix qui leur sont réservés. Ou encore des auteurs qui voient une corrélation entre le déclin de leur carrière et la mise en avant de femmes photographes. Et puis, il y a les insultes reçues suite à l’exposition de tout cela », ajoute la journaliste.
Des réactions parfois aussi violentes que la réalité. « Mettre dos à dos les femmes et les hommes, ce n’est pas la solution, et je crains de voir apparaître de nouvelles inégalités en mettant en place des dispositifs qui pourraient être trop radicaux », avance Sabrina Ponti. Si l’association qu’elle codirige affiche un objectif de mise en réseau de professionnelles de la photo et s’est notamment positionnée sur les questions de disparité à l’occasion des Observatoires de la mixité femme-homme, elle œuvre plus globalement pour la défense de la photographie et pour un décloisonnement des métiers de l’image. En témoignent les États généraux de la photographie, ou plus récemment la parution du guide de bonnes pratiques Y voir clair dans le méli-mélo de la photo.
Cet article est à retrouver en intégralité dans notre dernier numéro.