Disparition d’Agnès de Gouvion Saint-Cyr

19 mars 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
Disparition d’Agnès de Gouvion Saint-Cyr
Portrait d'Agnès de Gouvion Saint-Cyr, 1980 © Georges Tourdjman
© Véronique Vercheval

© Véronique Vercheval

Agnès de Gouvion Saint-Cyr, la grande dame photo du ministère de la Culture durant plus de trois décennies, vient de s’éteindre le 15 mars, à 80 ans. Repérée par Lucien Clergue alors qu’elle était étudiante, elle fut engagée comme traductrice lors des premières Rencontres de la photographie d’Arles, en 1970. Elle a soutenu le 8e art durant toute sa carrière d’inspectrice générale de la photographie, jusqu’à 2010. Elle était également correspondante de l’Académie des beaux-arts, nommée là encore par Lucien Clergue, premier photographe à faire son entrée sous la coupole de l’Institut, en 2006. Nous vous proposons ici un entretien publié dans le Fisheye hors-série dédié au 50e anniversaire des Rencontres d’Arles, en 2019.

Fisheye : Depuis quand participez-vous aux Rencontres d’Arles ?

Agnès de Gouvion Saint-Cyr : J’étais là dès la première année, en 1970. À l’époque, je terminais mes études de danois et d’histoire de la danse. Je travaillais dans une librairie parisienne pendant mes vacances quand j’ai rencontré Lucien Clergue, qui avait déjà exposé dans ce lieu. Il cherchait une « petite main » qui parlait plusieurs langues et qui pourrait l’aider bénévolement à une manifestation qu’il allait organiser quelques mois plus tard.

Quels étaient vos rapports à la photographie à cette époque ?

Je n’avais pas de connaissance photo, sauf la photographie anglaise du XIXe siècle, que j’avais étudiée à la Sorbonne et à Cambridge. À cette époque, il y avait très peu de livres photo ! J’ai travaillé aux Rencontres jusqu’à ce que le ministère de la Culture me demande un rapport sur l’édition en photographie, en 1973. La personne qui m’a appris mon métier dans le domaine des expositions et de l’organisation, c’est Jean-Maurice Rouquette [conservateur, historien et fondateur des Rencontres d’Arles, ndlr], à qui je dois tout ou presque.

Je me souviens qu’il me disait avec son accent : « Il ne faut pas faire de trou de gruyère dans les monuments historiques. » J’étais donc une « petite main » qui s’occupait de la logistique, de l’accueil des personnalités étrangères pour lesquelles j’assurais l’interprétation, et de mille autres choses. Mais les Rencontres, c’était pour les vacances, le reste du temps j’enseignais les langues, et c’est en 1976 que j’ai été rattachée au ministère de la Culture.

Vous avez aussi participé à la mise en place de l’École nationale de la photographie ?

Nous avons travaillé avec Maryse Cordesse et Alain Desvergnes [directeur des Rencontres de 1979 à 1982, qui fut le premier directeur de l’école] pour mener à bien ce projet qui venait de la volonté politique du nouveau président de la République, François Mitterrand, et de son ministre de la Culture, Jack Lang. Nous avons eu la chance de trouver Alain Desvergnes, qui était très organisé, et sa compagne Marie-Annick [Lenoir], qui était formidable dans la partie administrative. Un projet réussi, c’est aussi un concours de circonstances qui fait que les gens se trouvent au bon endroit au bon moment. Maryse Cordesse a beaucoup aidé à mener à bien ce projet – elle avait toutes les connexions politiques nécessaires –, et moi j’avais la tutelle administrative de l’école au ministère, avec interdiction de créer des postes de fonctionnaires. Dans l’élaboration de l’école, je voulais qu’il y ait des stages obligatoires dans les métiers de la photographie pour que les étudiants aient une vision d’ensemble et croisent le maximum de professionnels. 

Montage de l'écran au théâtre antique, Rencontres d'Arles 1982
Montage de l’écran au théâtre antique, Rencontres d’Arles 1982 © Véronique Vercheval
Lucien Clergue et Jean-Maurice Rouquette, rue des Arènes à Arles, 1984
Lucien Clergue et Jean-Maurice Rouquette, rue des Arènes à Arles, 1984 © Véronique Vercheval
© Joël Meyerowitz

© Joël Meyerowitz

Un peu plus tard, en 1990, vous avez dirigé les Rencontres…

Cette année-là était particulière, les Rencontres étaient au bord du déficit. Claude Hudelot [le directeur des deux éditions précédentes] avait laissé l’association dans un état économique épouvantable, et personne ne savait quoi faire. Après une discussion entre le maire, Lucien Clergue et le ministre de l’époque, Jack Lang, il a été décidé que je m’y colle. J’ai continué de travailler pour le ministère tout en assurant cette tâche de récupérer de l’argent. Bien entendu, je faisais ça bénévolement : je n’ai jamais reçu un centime des Rencontres !

La décision a été prise au printemps, et il fallait que je monte le programme en trois mois. L’avantage que j’avais, c’est que je connaissais des gens dans le domaine de la photographie et que je pouvais appeler un certain nombre de photographes, de musées… J’avais décidé de travailler sur l’Europe de l’Est/l’Europe de l’Ouest [le mur de Berlin était tombé en novembre 1989], et je connaissais les conservateurs des musées russes, autrichiens, estoniens… donc j’ai travaillé avec eux. À Berlin, le musée était traversé par le mur, et j’entendais les coups de pioches. Puis j’ai obtenu un peu d’argent de la part d’industriels pour passer quelques commandes, dont une à Raymond Depardon sur une traversée de l’Europe de l’Est.

Qu’avez-vous appris durant ces années passées à Arles ? 

La philosophie des Rencontres, c’était d’accompagner les photographes, de comprendre leur problématique et de faire émerger ce qu’il y avait de meilleur en eux. Les photographes à l’époque, personne ne s’en occupait ou ne manifestait de l’intérêt pour eux. Ils avaient besoin de reconnaissance. J’ai appris des tas de choses à leur contact, c’est aussi pour ça qu’on est venu me chercher pour travailler au ministère. Comme quand Robert Doisneau m’a expliqué qu’il n’y avait pas de sécurité sociale pour les photographes, et que lui s’était inscrit comme forain, parce qu’un photographe ça se déplace : c’était ça son statut social ! Alors au premier dossier dont j’ai eu à m’occuper au ministère, nous avons pu raccrocher in extremis les photographes à l’Agessa [le régime de sécurité sociale des artistes auteurs].  

Quelle était l’ambiance ?

Il y avait un climat de convivialité très fort, c’était le but. Je me souviens des grands déjeuners à l’abbaye de Montmajour : on n’imagine pas ce que ça a pu être ! Il y avait une ferveur qu’on ne retrouve plus. Aujourd’hui, les gens viennent aux Rencontres pour se faire voir et se faire connaître. Ils ne viennent pas prendre un pot pour le plaisir, mais plutôt par calcul. Ça n’a plus cette générosité des origines, ce côté humain n’existe plus du tout. François Hébel est un communicant hors pair. Il a fait connaître les Rencontres comme personne ! En revanche, il en a fait autre chose. Les années 2000, c’est aussi une époque où il fallait paraître dans le monde de la culture, avec un côté un peu bling-bling. En comparaison, pour moi le festival Visa pour l’image, à Perpignan, a gardé son originalité, et j’ai toujours plaisir à y aller et discuter avec les photographes

À lire aussi
« Nous mettons les artistes en orbite, Arles est une vraie rampe de lancement »
« Nous mettons les artistes en orbite, Arles est une vraie rampe de lancement »
Nous avons reçu Sam Stourdzé sur un bateau du port de l’Arsenal, à Paris. Le directeur des Rencontres d’Arles, qui a célébré la 50e…
13 août 2020   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Dix ans de souvenirs photographiques : Arles, ses coulisses et son hors-série
© Christian Lutz
Dix ans de souvenirs photographiques : Arles, ses coulisses et son hors-série
À l’occasion des dix ans de Fisheye, les membres de sa rédaction reviennent, à tour de rôle, sur trois éléments qui les ont…
18 août 2023   •  
Écrit par Eric Karsenty
Explorez
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
© Simon Vansteenwinckel
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
Le nom du lauréat de la 71e édition du prix Nadar Gens d’images vient d’être annoncé : il s’agit de Simon Vansteenwinckel. Le jury l’a...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
© Emile Gostelie
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
Dans cet espace pensé comme une exposition, un·e photographe et un·e commissaire croisent leurs regards. Pour cette première édition...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Fisheye #74 sonde la notion d’éthique en photographie
© Stan Desjeux
Fisheye #74 sonde la notion d’éthique en photographie
Fisheye #74 sera disponible en kiosque ce samedi 8 novembre ! En ce mois consacré à la photographie, notre nouveau numéro s’intéresse à...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
© Laura Menassa
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
Entre journal intime visuel et témoignage collectif, le travail de Laura Menassa explore la fragilité et la résilience au cœur de...
04 novembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Laura Lafon Cadilhac : s'indigner sur les cendres de l'été
Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor © Laura Lafon Cadilhac
Laura Lafon Cadilhac : s’indigner sur les cendres de l’été
Publié chez Saetta Books, Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor de Laura Lafon Cadilhac révèle un été interminable. L’ouvrage se veut...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Écofemmes Fest : un rendez-vous pour créer, lutter, transmettre
Trenza, le lien qui nous unit, 2025 ©Gabriela Larrea Almeida
Écofemmes Fest : un rendez-vous pour créer, lutter, transmettre
Jusqu'au 9 novembre prochain, La Caserne, dans le 10e arrondissement de Paris, accueille la première édition d’Écofemmes Fest, un...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
© Simon Vansteenwinckel
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
Le nom du lauréat de la 71e édition du prix Nadar Gens d’images vient d’être annoncé : il s’agit de Simon Vansteenwinckel. Le jury l’a...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
© Emile Gostelie
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
Dans cet espace pensé comme une exposition, un·e photographe et un·e commissaire croisent leurs regards. Pour cette première édition...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche