© Véronique Vercheval
Agnès de Gouvion Saint-Cyr, la grande dame photo du ministère de la Culture durant plus de trois décennies, vient de s’éteindre le 15 mars, à 80 ans. Repérée par Lucien Clergue alors qu’elle était étudiante, elle fut engagée comme traductrice lors des premières Rencontres de la photographie d’Arles, en 1970. Elle a soutenu le 8e art durant toute sa carrière d’inspectrice générale de la photographie, jusqu’à 2010. Elle était également correspondante de l’Académie des beaux-arts, nommée là encore par Lucien Clergue, premier photographe à faire son entrée sous la coupole de l’Institut, en 2006. Nous vous proposons ici un entretien publié dans le Fisheye hors-série dédié au 50e anniversaire des Rencontres d’Arles, en 2019.
Fisheye : Depuis quand participez-vous aux Rencontres d’Arles ?
Agnès de Gouvion Saint-Cyr : J’étais là dès la première année, en 1970. À l’époque, je terminais mes études de danois et d’histoire de la danse. Je travaillais dans une librairie parisienne pendant mes vacances quand j’ai rencontré Lucien Clergue, qui avait déjà exposé dans ce lieu. Il cherchait une « petite main » qui parlait plusieurs langues et qui pourrait l’aider bénévolement à une manifestation qu’il allait organiser quelques mois plus tard.
Quels étaient vos rapports à la photographie à cette époque ?
Je n’avais pas de connaissance photo, sauf la photographie anglaise du XIXe siècle, que j’avais étudiée à la Sorbonne et à Cambridge. À cette époque, il y avait très peu de livres photo ! J’ai travaillé aux Rencontres jusqu’à ce que le ministère de la Culture me demande un rapport sur l’édition en photographie, en 1973. La personne qui m’a appris mon métier dans le domaine des expositions et de l’organisation, c’est Jean-Maurice Rouquette [conservateur, historien et fondateur des Rencontres d’Arles, ndlr], à qui je dois tout ou presque.
Je me souviens qu’il me disait avec son accent : « Il ne faut pas faire de trou de gruyère dans les monuments historiques. » J’étais donc une « petite main » qui s’occupait de la logistique, de l’accueil des personnalités étrangères pour lesquelles j’assurais l’interprétation, et de mille autres choses. Mais les Rencontres, c’était pour les vacances, le reste du temps j’enseignais les langues, et c’est en 1976 que j’ai été rattachée au ministère de la Culture.
Vous avez aussi participé à la mise en place de l’École nationale de la photographie ?
Nous avons travaillé avec Maryse Cordesse et Alain Desvergnes [directeur des Rencontres de 1979 à 1982, qui fut le premier directeur de l’école] pour mener à bien ce projet qui venait de la volonté politique du nouveau président de la République, François Mitterrand, et de son ministre de la Culture, Jack Lang. Nous avons eu la chance de trouver Alain Desvergnes, qui était très organisé, et sa compagne Marie-Annick [Lenoir], qui était formidable dans la partie administrative. Un projet réussi, c’est aussi un concours de circonstances qui fait que les gens se trouvent au bon endroit au bon moment. Maryse Cordesse a beaucoup aidé à mener à bien ce projet – elle avait toutes les connexions politiques nécessaires –, et moi j’avais la tutelle administrative de l’école au ministère, avec interdiction de créer des postes de fonctionnaires. Dans l’élaboration de l’école, je voulais qu’il y ait des stages obligatoires dans les métiers de la photographie pour que les étudiants aient une vision d’ensemble et croisent le maximum de professionnels.
© Joël Meyerowitz
Un peu plus tard, en 1990, vous avez dirigé les Rencontres…
Cette année-là était particulière, les Rencontres étaient au bord du déficit. Claude Hudelot [le directeur des deux éditions précédentes] avait laissé l’association dans un état économique épouvantable, et personne ne savait quoi faire. Après une discussion entre le maire, Lucien Clergue et le ministre de l’époque, Jack Lang, il a été décidé que je m’y colle. J’ai continué de travailler pour le ministère tout en assurant cette tâche de récupérer de l’argent. Bien entendu, je faisais ça bénévolement : je n’ai jamais reçu un centime des Rencontres !
La décision a été prise au printemps, et il fallait que je monte le programme en trois mois. L’avantage que j’avais, c’est que je connaissais des gens dans le domaine de la photographie et que je pouvais appeler un certain nombre de photographes, de musées… J’avais décidé de travailler sur l’Europe de l’Est/l’Europe de l’Ouest [le mur de Berlin était tombé en novembre 1989], et je connaissais les conservateurs des musées russes, autrichiens, estoniens… donc j’ai travaillé avec eux. À Berlin, le musée était traversé par le mur, et j’entendais les coups de pioches. Puis j’ai obtenu un peu d’argent de la part d’industriels pour passer quelques commandes, dont une à Raymond Depardon sur une traversée de l’Europe de l’Est.
Qu’avez-vous appris durant ces années passées à Arles ?
La philosophie des Rencontres, c’était d’accompagner les photographes, de comprendre leur problématique et de faire émerger ce qu’il y avait de meilleur en eux. Les photographes à l’époque, personne ne s’en occupait ou ne manifestait de l’intérêt pour eux. Ils avaient besoin de reconnaissance. J’ai appris des tas de choses à leur contact, c’est aussi pour ça qu’on est venu me chercher pour travailler au ministère. Comme quand Robert Doisneau m’a expliqué qu’il n’y avait pas de sécurité sociale pour les photographes, et que lui s’était inscrit comme forain, parce qu’un photographe ça se déplace : c’était ça son statut social ! Alors au premier dossier dont j’ai eu à m’occuper au ministère, nous avons pu raccrocher in extremis les photographes à l’Agessa [le régime de sécurité sociale des artistes auteurs].
Quelle était l’ambiance ?
Il y avait un climat de convivialité très fort, c’était le but. Je me souviens des grands déjeuners à l’abbaye de Montmajour : on n’imagine pas ce que ça a pu être ! Il y avait une ferveur qu’on ne retrouve plus. Aujourd’hui, les gens viennent aux Rencontres pour se faire voir et se faire connaître. Ils ne viennent pas prendre un pot pour le plaisir, mais plutôt par calcul. Ça n’a plus cette générosité des origines, ce côté humain n’existe plus du tout. François Hébel est un communicant hors pair. Il a fait connaître les Rencontres comme personne ! En revanche, il en a fait autre chose. Les années 2000, c’est aussi une époque où il fallait paraître dans le monde de la culture, avec un côté un peu bling-bling. En comparaison, pour moi le festival Visa pour l’image, à Perpignan, a gardé son originalité, et j’ai toujours plaisir à y aller et discuter avec les photographes.