Dans Ice Castles, série représentant des châteaux de glaces surréalistes érigés en Amérique, Frankie Carino fait le portrait sculptural d’une nature domptée par l’homme, vouée, malgré tout, à disparaître.
Glaciers imposants, grottes gelées, stalagmites tranchantes… À première vue, Ice Castles nous emporte dans un périple hivernal, aux confins de l’Antarctique. Un décor bleuté, auréolé d’un froid polaire, où la neige demeure éternelle et où les humains n’osent s’aventurer. Pourtant, au détour des photographies de Frankie Carino, on découvre d’étranges silhouettes vêtues de simples t-shirts, et un soleil bizarrement chaleureux… « Ces châteaux de glace sont en fait des attractions touristiques construites tous les ans dans certains centres hôteliers aux quatre coins des États-Unis, explique l’artiste. Ces glaciers se forment de la même manière que ceux qui existent en pleine nature. Leur création est simplement accélérée drastiquement par la main de l’homme. Je trouve, dans leur construction une certaine ironie : ces paysages altérés par l’être humain, qui imitent un environnement naturel alors que nous passons notre temps à le détruire. »
Fasciné par le 8 art depuis ses neuf ans – âge où il reçoit, pour la première fois, en cadeau un Canon Rebel 2000 – Frankie Carino passe son temps à « shooter, expérimenter, pratiquer ». Un processus sans fin qui le pousse, depuis quelque temps, à s’intéresser aux lieux géologiquement extrêmes, qui changent à l’échelle d’une vie humaine. Une manière pour lui d’allier son intérêt continu pour le paysage et la nature à des questionnements plus engagés. Car, loin de tout lieu urbain, le photographe parvient enfin « à cesser de réfléchir à quoi publier sur Instagram, ou si [il] devrait [s]e rendre à tel bar pour faire du réseautage », et à laisser l’inspiration venir à lui.
L’impermanence de la glace
Une passion qui le pousse à imaginer des récits atypiques, à déjouer nos attentes. Car dans Ice Castles, la glace devient – malgré la présence de quelques figurants humains – la véritable protagoniste de l’histoire. Elle sature chaque composition, brille de mille feux, comme lustrée, sublimée par les rayons solaires. Lisse, splendide, elle attire le regard et s’empare de nos sens : il nous semble presque pouvoir la toucher du bout des doigts. « Je voulais souligner la tension entre la structure, et l’impermanence de la glace en tant que matériau. Les récits humains m’intéressent moins que la notion de temps – à hauteur de notre existence. La glace est un minéral, et elle fondra, tout comme un château de pierre tombera en ruine. Ces choses arrivent, indépendamment de notre intervention », explique-t-il.
Mais plus qu’une réflexion philosophique provoquée par notre influence sur les éléments, la série de l’artiste explore également la porosité entre les arts. Car sculpteur de formation, Frankie Carino laisse ses connaissances de la pratique nourrir son processus photographique – et vice versa. Une manière de s’ouvrir à l’hybridation et de donner à voir la palpabilité d’un tel sujet. « Les châteaux de glace sont en vérité des sculptures. J’ai immédiatement été attiré par la matérialité de ces endroits, je voulais absolument comprendre comme ils avaient été construits. Ma série est donc une réponse à cette réaction : un moyen d’avoir accès aux lieux, ainsi qu’un guide, documentant leur construction », explique-t-il. Œuvres d’art abstraites, imitant à la perfection leur homologue sauvage, les glaciers shootés par le photographe deviennent finalement presque surréalistes, s’érigeant sous un ciel azur. Et, dans ce monde coloré de nuances pâles, les ouvriers, leurs camions et leurs outils, aux couleurs vives, contrastent dangereusement. Comme des éléments parasites polluant la blancheur immaculée des images. Une belle métaphore de l’intervention intempestive des êtres humains sur la planète.
© Frankie Carino