Venu de Kyoto, le photographe Kenya Sugai fige des instants de son quotidien à l’aide d’un flash puissant. Une série d’images faisant l’éloge du banal et révélant la beauté insolite de l’ordinaire. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
S’il y a bien une leçon de photographie que le Japonais Daidō Moriyama aura léguée à la postérité dans son ouvrage How I Take Photographs, c’est certainement son amour obsessionnel des instantanés urbains, simples et incisifs, les snapshots. Et c’est avec un même besoin quasi boulimique que le photographe originaire de Kyoto, Kenya Sugai, saisit l’expression de ce qui se présente devant lui. « Je ne choisis pas de capturer les détails, mais j’expose l’essence de chaque sujet avec des intentions particulières, car je considère qu’une partie de ma réalité est faite de différentes couleurs, de formes et d’aspects. Les choses que je vois ne sont pas à l’extérieur de moi, ou séparées, mais avec moi. Avec le sentiment d’être en connexion », confie le photographe. Établi à Tokyo depuis une vingtaine d’années, Kenya Sugai diffuse avec authenticité ses pérégrinations citadines à travers des images plurielles appartenant au même registre. De manière presque systématique, ses clichés sont des plans rapprochés, pris à la verticale, sous un flash irradiant, comme pour marquer la fulgurance d’un moment d’allégresse.
Une tache d’essence sur le bitume, deux mains enlacées religieusement, une queue de bichon frisé qui dépasse de nulle part, un bouquet de fleurs coloré par la lumière du crépuscule… Autant de scènes éphémères de notre existence qui s’harmonisent avec légèreté sous l’œil amusé du photographe. « Je ne considère pas que la réalité est ennuyeuse et terne, et je ne dépeins pas non plus des situations absurdes. Dans mes images, je dévoile toujours une part de ma vraie nature. Par conséquent, si le spectateur perçoit des situations loufoques dans mes photos, c’est probablement que je suis une personne loufoque », déclare-t-il avec humour. C’est ainsi en observateur assidu de son environnement qu’il apprend à laisser les choses venir à lui, sans les juger, avec une certaine nonchalance. « Ma principale source d’inspiration réside dans le fait de prêter attention à tous les aspects de ma vie quotidienne, sans rien faire de spécial », ajoute- t-il. Ses instantanés tokyoïtes se lisent comme une prose de l’évidence, du banal, du bruit de fond, du commun, de ce que Georges Perec nommait « l’infra-ordinaire ». La dimension éclectique de l’œuvre de Kenya Sugai nous raconte finalement l’histoire d’un promeneur solitaire en quête de la beauté du quotidien, aussi surprenant soit-il.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #52, disponible ici.
© Kenya Sugai