« Ganga Ma », entre splendeur et tourment

15 mars 2019   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Ganga Ma », entre splendeur et tourment

Le photographe italien Giulio Di Sturco a voyagé durant huit ans en Inde et en Asie pour documenter le fleuve Gange. Un projet sublime et engagé, intitulé Ganga Ma.

« Ma famille compte cinq générations de photographes. C’est donc naturellement que je me suis tourné vers des études de photographie »,

déclare Giulio Di Sturco, artiste d’origine italienne. Son diplôme en poche, il s’est envolé pour le Canada, où il s’est installé durant trois ans. « Ensuite, j’ai déménagé en Inde, et j’y ai vécu sept ans. Après ça ? Bangkok durant sept autres années », énumère l’auteur. La capitale de la Thaïlande est pour lui un lieu parfait, à la fois peu cher et placé au centre du territoire.

Si Giulio Di Sturco a longtemps travaillé en tant que reporter, les commandes de magazines et le temps imparti pour les réaliser l’ont rapidement lassé. « Ils m’envoyaient dans un endroit pendant quelques jours, mais je ne pouvais jamais creuser le moindre sujet », regrette le photographe, qui commence alors à postuler à des prix et des bourses, pour financer ses projets. « J’ai mis huit ans à réaliser Ganga Ma. J’ai eu la chance de remporter deux bourses, qui m’ont aidé à terminer ce projet au long cours. Et j’étais libre de travailler comme je l’entendais », se rappelle-t-il.

© Giulio Di Sturco

Au-delà de la beauté

D’abord une simple commande, Ganga Ma s’est transformé en un documentaire complexe sur le fleuve Gange. Considéré comme sacré en Inde, ce cours d’eau souffre aujourd’hui de la pollution importante du territoire. « Ce n’était pas l’aspect religieux qui m’intéressait, précise l’auteur. J’ai préféré me consacrer à l’étude des enjeux environnementaux et sociétaux. Le Gange est une métaphore, qui permet d’aborder les notions de pollution, de surpopulation, de mondialisation, et de changement climatique », explique-t-il. Autant de sujets ancrés dans l’histoire contemporaine. Accompagné d’un guide, le photographe s’est aventuré dans différents territoires de l’Inde et du Bangladesh, pour trouver les lieux propices à son récit. « L’editing du livre n’est qu’un infime échantillon de mon travail, confie-t-il. Je n’ai choisi que les images les plus originales. Celles qui, derrière leur splendeur, cachent un deuxième niveau de lecture. »

En Asie et en Inde, la pollution touche particulièrement les cours d’eau. Les fleuves, comme le Gange ou le Mékong meurent doucement. « Au Bangladesh, il existe une partie du Gange – de sept kilomètres – qui est morte. L’eau y est noire, et n’a plus d’oxygène. Plus rien ne vit à l’intérieur, raconte Giulio Di Sturco. En parallèle, en janvier 2019, Bangkok est devenue l’une des villes les plus polluées au monde. » Une triste réalité, que l’auteur souhaite dénoncer à travers sa série. « Mais il faut prendre le temps d’observer attentivement chaque image, sinon, seule la beauté transparaît », prévient-il.

© Giulio Di Sturco

Documenter le fleuve comme une personne disparue

En parcourant les images qui composent Ganga Ma, un élément estompe le reste : l’eau. Si elle relie les clichés entre eux et apporte une unité au projet, elle attire également l’attention du lecteur sur son statut. « J’ai documenté le fleuve à la façon d’une personne disparue. Il est le protagoniste du récit, tandis que les hommes font simplement partie du paysage », explique Giulio Di Sturco. Une personnification en résonance avec l’histoire du cours d’eau. En mars 2017, la haute cour de l’état indien d’Uttarakhand a attribué aux fleuves Gange et Yamuna les mêmes droits qu’aux êtres humains. « En d’autres termes, si l’Homme pollue la rivière, il blesse quelqu’un », ajoute le photographe. Une particularité qui lui a permis d’élaborer une histoire universelle, autour du fleuve.

Dans un univers embrumé, aux tons gris, Giulio Di Sturco a photographié l’Inde avec singularité. « Je voulais me défaire de cette vision d’un pays coloré. La vraie couleur de l’Inde ? Sable. Un monde déteint par le brouillard et la pollution », résume l’auteur, qui n’a travaillé qu’à la lumière du soir ou celle du matin, à la recherche de tons doux, et d’un soleil couvert. « La postproduction a ensuite duré trois années entières. Il me fallait tout mélanger, pour construire une série intemporelle », ajoute-t-il. Dans cette esthétique picturale, l’eau, liquide et brillante, semble s’immiscer dans les moindres images, et guider le lecteur au cœur d’un récit complexe et engagé.

© Giulio Di Sturco© Giulio Di Sturco

© Giulio Di Sturco

© Giulio Di Sturco© Giulio Di Sturco

© Giulio Di Sturco

© Giulio Di Sturco© Giulio Di Sturco

© Giulio Di Sturco

© Giulio Di Sturco

Explorez
La sélection Instagram #535 : surfaces texturées
© Laura Barth / Instagram
La sélection Instagram #535 : surfaces texturées
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine explorent la matérialité de la photographie. Du papier aux émulsions, en passant...
02 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Twin Peaks, ambiguïté et nature morte : dans la photothèque de Stan Desjeux
Si tu devais ne choisir qu’une seule de tes images, laquelle serait-ce ? © Stan Desjeux
Twin Peaks, ambiguïté et nature morte : dans la photothèque de Stan Desjeux
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
01 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fury, l'univers « crépusculaire » de Marie Quéau
Sans titre #90, Campus Univers Cascades, 2023, extrait de la série Fury, Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris © Marie Quéau / ADAGP, Paris, 2025
Fury, l’univers « crépusculaire » de Marie Quéau
Jusqu’au 8 février 2026, Marie Quéau, cinquième lauréate du prix Le Bal/ADAGP de la Jeune Création, présente Fury. Dans cette exposition...
29 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Éternel été, mémoire et masculinité : nos coups de cœur photo de novembre 2025
Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor © Laura Lafon
Éternel été, mémoire et masculinité : nos coups de cœur photo de novembre 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
28 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
© Carla Rossi
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
Dans son ouvrage Bellissima, publié par Art Paper Editions, Carla Rossi explore les désirs, les façades et les codes qui façonnent la...
03 décembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #535 : surfaces texturées
© Laura Barth / Instagram
La sélection Instagram #535 : surfaces texturées
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine explorent la matérialité de la photographie. Du papier aux émulsions, en passant...
02 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Twin Peaks, ambiguïté et nature morte : dans la photothèque de Stan Desjeux
Si tu devais ne choisir qu’une seule de tes images, laquelle serait-ce ? © Stan Desjeux
Twin Peaks, ambiguïté et nature morte : dans la photothèque de Stan Desjeux
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
01 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #567 : Himanshu Vats et Grant Harder
© Grant Harder
Les coups de cœur #567 : Himanshu Vats et Grant Harder
Himanshu Vats et Grant Harder, nos coups de cœur de la semaine, explorent la nature, et les liens qu’elle entretient avec les humains. Le...
01 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger