Dans Intérieurs d’histoires, Gianni Villa crée les souvenirs qu’il lui a été impossible de construire avec ses grands-parents. En s’immisçant dans l’intérieur de personnes âgées, non loin de son village du Cher, le photographe livre un récit visuel intime qui résonne dans la tête de toutes et tous. Au-delà d’une introspection personnelle, cette série offre un regard sur une génération invisibilisée.
« Mes grands-parents n’ont pas eu le désir de partager quoi que ce soit de leurs vies avec moi. Si je crois ne pas en avoir souffert, certaines choses me manquent. Pour eux, je suis et resterai à jamais un étranger. C’est à partir de cette solitude que j’ai tout inventé, allant chercher chez les autres, à l’intérieur, une histoire, mon histoire », confie Gianni Villa, né en 1968 de parents italiens. Dans la série Intérieurs d’histoires, le photographe autodidacte capture l’intimité de personnes âgées afin de construire les souvenirs avortés de son enfance. Un pot de fleurs sur une vieille gazinière, un abat-jour poussiéreux, des papiers peints d’époque ou encore une ancienne machine à coudre… Que nous ayons eu la chance de partager des instants de vie avec nos aïeuls, ou non, chacun de ces détails donne lieu à la profonde nostalgie d’un temps passé.
Intérieurs d’histoires voit le jour en 2022 suite à une FotoMasterclass de l’Oeil de l’Esprit avec FLORE, Sylvie Hugues et Adrian Claret. Après cet accompagnement artistique, Gianni Villa devient bien plus qu’un « fabricant d’images », il raconte une histoire personnelle emplie d’émotions. Pour la première fois, il ouvre son cœur grâce au médium qu’il pratique à plein temps depuis plus de quinze ans. Ancien membre des Tambours du Bronx dans les années 1990, Gianni Villa s’est consacré à la musique pendant de nombreuses années. La photographie l’a ensuite vite rattrapé. « C’est mon instituteur de CM1/CM2, adepte de la pédagogie Freinet, qui m’a initié au monde de l’image fixe et animée. Il a planté une graine puis une fleur a commencé à éclore des dizaines d’années plus tard », se remémore l’ex-musicien. Il explique alors s’être tourné vers la photographie pour son pouvoir et sa faculté de nous faire entrer partout et rencontrer n’importe lequel de nos semblables. Il ajoute : « Parfois, elle me permet d’entrevoir l’âme, d’une chose ou d’une personne. »
Un récit personnel à la résonance extrême
Depuis presque dix ans, le photographe analogique vit confiné à la campagne, dans un petit village du Cher en compagnie de sa famille et ses deux chiens, Brooklyn et Théodore. « Pour moi, l’isolement lié à la pandémie de Covid-19 n’a rien changé à mes habitudes, il les a même consolidées ». L’isolement qu’il mentionne est le refrain incessant du quotidien des personnes de cette série. Il les rencontre majoritairement à l’occasion d’un travail de commande pour différentes communes du département qui consiste à tirer le portrait des anciens âgés entre 75 et plus de 100 ans. « C’est ma manière de leur rendre hommage et d’emmener la photo au cœur du village », précise celui qui se définit comme un « photographe de l’intériorité ». Bien plus que la simple réalisation d’un portrait, Gianni Villa découvre dans chacune des habitations des bribes de vie et de souvenirs. Il apporte aussi une chose essentielle : sa présence et son écoute dans des maisons où la vie s’éteint à petit feu, sans faire de bruit…
Le hasard et le ressenti influent également la démarche de Gianni Villa. Il suffit d’un élément qui attire son œil pour qu’il s’arrête, frappe à la porte, et engage la conversation avec des inconnu·es. La confiance s’installe et la magie opère. Comme, par exemple, sa rencontre avec Raymonde, née en 1933. Vêtue d’une blouse bleue, cette dame se trouvait dans le jardin de sa maison isolée lorsque le photographe l’a aperçue : « Elle me dit que son mari est décédé. Elle ne souhaitait pas acheter cette maison, « trop loin du bourg », selon elle. Mais bon, à l’époque on ne va pas à l’encontre de la décision du mari… ». Après avoir demandé la permission de capturer son intérieur, Gianni Villa découvre le salon, la cuisine, puis la chambre : « au mur, je vois un râtelier avec deux fusils ayant appartenu au défunt. Mon regard descend et se pose sur ce pot de chambre. J’appuie sur le déclencheur, les deux armes et le trône sont dans la boite ». Au fil des rencontres, Gianni Villa comprend que sa venue brise, un instant, une part de leur solitude. Il veille à garder contact et à leur faire découvrir ses images au format carré, qui n’est pas sans rappeler les photos Polaroïd. Des instantanées de souvenirs poignants, entre des grands-parents, solitaires malgré eux, et leur petit-fils d’une autre vie.
© Gianni Villa