« Un voyage est un processus. Il commence par le mystère et l’incertitude. Les noms de la carte ne sont que cela, des noms. La route et l’escale restent incertaines. On peut planifier et organiser. Si l’on en fait trop, on risque de se heurter à des changements déstabilisants et, surtout, de fermer la porte à de merveilleux événements inattendus. » Avant d’être photographe, Gilles Massot, auteur de ces lignes, est un grand voyageur. Installé à Singapour depuis 1981, où il a enseigné au LASALLE – College of the Arts, il participe activement à la vie photographique locale. Dans les années 1990, il vit entre l’Europe et l’Asie et donne vie à une cinquantaine d’expositions. Cette existence nourrit son art, dont la quête principale est celle du temps et de l’espace.
Architecte de formation, Gilles Massot élabore un langage photographique hybride et iconoclaste, qui aborde le 8e art comme un objet autour duquel broder, une toile qu’il faudrait mettre en relation avec des supports pluriels. Ainsi, dans ses images foisonnantes, se côtoient harmonieusement dessin, photographie, collage et coloriage. Avec la rétrospective L’espace entre les choses, La Fondation Manuel Rivera-Ortiz à Arles rend hommage à cet artiste protéiforme en suivant comme fil rouge son rapport complexe au temps et à l’espace. Et s’il s’intéresse à ces deux éléments, Gilles Massot cherche avant tout à s’en émanciper. Danseur, il joue avec les dimensions spatio-temporelles pour créer une réalité fluide où les frontières sautent et les médiums se mélangent joyeusement.
La danse comme outil pour sortir du cadre
Gilles Massot parvient, dans ses images, à saisir l’élégance du moment. Les émotions s’entremêlent et véhiculent des récits pluriels qui se croisent et donnent lieu à un rythme bien particulier. Par la pratique de la danse – qu’il arrive à transposer à la photographie – Gilles Massot laisse libre cours à sa musique intérieure. La discipline s’impose aussi comme un moyen d’envisager ce qui existe au-delà du cadre d’une image. Elle permet de jouer avec le temps et l’espace, le rythme et le mouvement. Depuis les années 1970, l’auteur n’a eu de cesse de faire dialoguer ces notions en puisant dans plusieurs techniques artistiques. Time Frame, l’une de ses premières séries, marque d’ailleurs le début de l’exploration des relations entre la photographie, la peinture, le temps et l’espace.
Ce qui déborde du cadre fait partie intégrante de ses clichés, souvent interprétés comme des propositions de mondes alternatifs et de réalités cachées. Par ses images, Gilles Massot conduit une véritable enquête sur le processus photographique et questionne notre rapport à l’image, à la création et à la perception de celle-ci. Rentrer dans son univers, c’est s’engager dans une balade où les formes changent en permanence, mais où le propos demeure constant et entêtant. « Pour avoir une existence physique, les choses doivent se transformer, aller d’un endroit à un autre, d’un état à un autre. C’est le voyage qui compte, pas la destination. C’est le récit inévitable de la transformation constante du monde qui induit l’illusion du temps, et non le temps qui induit le récit… », expliquait l’artiste dans une interview du Petit journal. « Danseur, il porte son énergie vers un ailleurs, sans frontières, tout en étant cadré par la grille du monde, notamment à travers ses études d’architecture, conclut le commissaire de l’exposition Florent Basiletti. La danse offre des intervalles comme le cadran du temps et de l’espace et permet d’ajuster le flux vital qui lient les êtres et fait ressentir les choses. »
© Gilles Massot