Fisheye: Comment es-tu devenu photographe ?
Hamid Blad :
Je suis arrivé sur le marché de la photographie assez tardivement. J’ai commencé en tant qu’amateur. Et il y a cinq ans, je me suis professionnalisé. J’ai trouvé une écriture et une identité photographique. Ce que je fais aujourd’hui me permet de payer mes dépenses. Je vis de ma passion.
Peux-tu nous parler de ta démarche ?
Je suis devenu photographe, mais la réalité c’est que je ne prends même pas de photo. Je récupère celles des autres et je leur donne une orientation, un nouveau sens. Cela me plaît beaucoup de pouvoir réutiliser un produit, de lui donner une autre signification, une autre lecture…
Où as-tu trouvé ces photos ?
Ce sont des négatifs que j’ai chinés et récupérés dans un studio photo en Suisse, il y a peut-être quatre ou cinq ans. L’idée c’est de réfléchir sur l’identité et sur tout ce qui est du domaine de l’apparence. J’aime le fait de pouvoir troubler le spectateur.
Comment t’est venue cette idée de récupérer des négatifs ?
Ce qui me plaît, c’est de récupérer un objet qui ne m’appartient pas et de pouvoir m’en servir comme base de travail. Il y a ce côté mystérieux aussi de l’image d’archive[ndlr: les personnes photographiées sont anonymes], ces négatifs sont d’une autre époque. En fait ce qui a m’a motivé, c’est de jouer sur ces figures figées et d’étonner le spectateur : « Tiens, ce photographe a fait ça, mais non en réalité ce n’est pas lui ». Puis récupérer une photo, c’est acquérir une pièce unique comme un tableau.
Comment t’est venue l’idée de les superposer ?
J’étais chez moi, dans mon atelier. J’ai commencé à les regarder et puis je me suis dit : « Tiens je vais essayer de les assembler». Le résultat était très bien. J’ai mis un mois pour sortir la série. J’ai fait plusieurs propositions, plusieurs essais… Les photos qui me servent de matière première ont toutes été prises dans un studio suisse, donc il y a les mêmes orientations au niveau des visages et des regards. Je les ai mises volontairement sur un papier assez transparent, comme une image latente. Cela donne l’impression que c’est le portrait est en train de se révéler, qu’il n’est pas encore fini, qu’il est invisible.
Je mélange aussi les genres. Sur certaines images, on ne sait plus si l’on regarde un homme ou une femme. Vulgairement, je pousse un peu la chose. Je laisse les plans films où l’on peut y voir des références, des numéros. Cela permet de montrer que ce n’est pas une photo retouchée. Enfin dans cette série on ne voit jamais clairement Cindy, le personnage principal. Il n’y a que moi qui peux le voir. Je me suis demandé si je devais la montrer. J’ai préféré ne pas le faire.
Est-ce que l’on découvrira un jour le visage de ce mystérieux personnage ?
On me pose souvent la question. Pour l’instant, la photo est rangée chez moi dans un tiroir. Je l’ai mise de côté car c’est un peu la pièce maîtresse de travail. Après, chacun peut se le créer lui-même.
Pourquoi l’avoir nommé « Cindy » si il ou elle n’a pas de genre particulier ?
Je l’ai nommé Cindy en référence à Cindy Sherman. Son travail m’inspire beaucoup puisqu’elle aussi travaille sur la métamorphose. C’est une photographe avec un parcours très riche qui se questionne énormément sur les apparences.
Quel message essaies-tu de faire passer à travers cette série ?
C’est de me mettre le spectateur face à une réalité: notre capacité à pouvoir s’accommoder à notre entourage. Il doit pouvoir se poser ces questions: Qui est cette personne ? Qui est derrière ? Est-ce un homme ou une femme ? Nous changeons d’apparence tous les jours, en nous adaptant aux gens. L’image qu’elle soit réelle ou non n’est pas toujours figée.
Tu sembles apprécier tout ce qui est ancien. Tu as l’air assez nostalgique…
C’est vrai. Dans le regard de ces portraits aussi, il y a une nostalgie. “Cindy” permet justement de se retrouver dans un passé que l’on n’a pas connu. Le fait de récupérer des images, ça me plaît encore plus. Je pense que demain le photographe ne fera plus de photo, puisqu’aujourd’hui elles inondent le web: il est facile de les récupérer et de ses les approprier, de leur donner un nouveau sens…Dans cette série il y a beaucoup d’imperfections. Ce n’est pas lisse, ce n’est pas parfait et cela me convient parfaitement. En faisant de la récupération, j’ai un support où je peux gratter, travailler et je sais que je ne pourrai plus revenir en arrière.