À la croisée des arts plastiques et de la photographie, Icaro, ouvrage d’Irene Zottola, propose une lecture contemporaine du célèbre mythe. Un conte visuel philosophique explorant notre connexion à la nature, notre ambition, nos désirs et nos peurs.
Emprisonné par Minos dans le labyrinthe qu’il a lui-même créé, l’ingénieur Dédale, accompagné de son fils Icare, cherche en vain un moyen de s’en échapper. Un matin, alors qu’il contemple le ciel, l’idée lui vient. Ramassant les plumes laissées au sol par les oiseaux, il les soude à la cire et les attache à ses bras et à ceux d’Icare, leur donnant ainsi la capacité de voler. Inquiet, il avertit néanmoins son fils avant de prendre son envol : il ne faut pas s’approcher de l’humidité de l’eau ni de la chaleur du soleil, sous peine d’en mourir. En pleine fuite, pourtant, face à la beauté de l’astre, Icare ne peut s’empêcher de grimper, toujours plus haut. En s’approchant trop près des rayons, la cire maintenant ses ailes fond et le précipite dans une chute vertigineuse au fond de la mer, qui prendra ensuite son nom. C’est ce mythe, connu de tous, qui a inspiré Icaro à Irene Zottola. Depuis l’enfance, la photographe et éducatrice sociale espagnole s’exprime à travers les arts. Dessin, peinture, cinéma, littérature… C’est finalement le monde de l’image qui lui offre l’introspection qu’elle recherche tant. « Ma relation au médium est née d’un besoin d’expression personnelle, confie-t-elle. D’une envie de narrer des moments très concrets de ma vie, de raconter des histoires à la manière de contes visuels, de retenir, grâce aux clichés ce que j’aime et ce qui me fait peur. La vie semble différente, à travers mon objectif. »
Fascinée par la chambre noire et l’expérience sensorielle qu’elle offre, l’autrice s’immerge dans sa lumière rouge, l’odeur des fixatifs, le contact du papier pour construire des projets plastiques aux thématiques universelles et à l’écriture intimiste.
Qui n’a jamais rêvé de voler ?
C’est ainsi qu’est né Icaro. Travaillant avec l’émulsion liquide, Irene Zottola modèle avec ses mains des œuvres évoquant l’aquarelle. « J’aime que mes images aient un poids, un volume, des couches. Mes créations se développent de manière naturelle. L’image qui jaillit de l’émulsion m’évoque des mots, que je tape à la machine à écrire et que je colle sur l’image. C’est une sorte de puzzle que je construis au fur et à mesure sans savoir à quoi il ressemblera », raconte-t-elle. Dès 2017, l’artiste se passionne pour la photographie d’oiseaux morts, qu’elle trouve dans la rue, mais aussi pour les clichés de ciels et d’océans. « Il m’a fallu longtemps avant de réaliser que je capturais en fait leur montée et leur chute », confie-t-elle. Mais en comparant les tirages, la magie opère. Une fusion métaphorique convoquant Icare et sa trop grande curiosité.
En plongeant dans l’ouvrage d’Irene Zottola, des souvenirs d’anciennes encyclopédies illustrées refont surface. Comme un recueil savant retraçant l’existence éphémère des volatiles, des oisillons vulnérables dépendant de leur mère pour survivre, à leur mort inéluctable. Pourtant, de la douce poésie des pages jaillissent d’autres thématiques. Parmi elles, notre connexion à la nature, et le besoin de la dompter pour sans cesse s’élever. Mais aussi l’ambition humaine, nous poussant à risquer notre vie dans une recherche excessive du mieux, ou encore la volonté de se distancer de l’emprise parentale – comme Icare – au détriment, parfois, de notre bien-être. Car si les origines du mythe font écho à la Grèce antique, sa morale parvient à résonner de manière contemporaine. « Après tout, qui n’a jamais rêvé de voler ? », rappelle l’artiste. Face à ses diptyques savamment travaillés, il nous faut alors nous interroger. Que retenons-nous de cette fable ? Que nous évoquent ses animaux aux ailes brisées, leurs corps inertes épousant le goudron ? Comme pour nous aiguiller vers une réflexion plus profonde, Irene Zottola appose aux clichés morbides une présence humaine, celle d’Amelia Earheart, première femme aviatrice à traverser l’Atlantique, avant de disparaître en plein vol en 1937. Une manière de rappeler, à nouveau, que l’ascension vers un idéal fantasmé n’a d’égal que sa chute. « Ce travail témoigne de la relation de l’homme à lui-même et à son environnement. De ses angoisses et de ses désirs au sein d’une société labyrinthique », complète l’éducatrice et photographe, avant de conclure : « Mais c’est aussi un hommage à mes étudiants qui viennent de familles difficiles et qui se hissent néanmoins vers le haut, travaillant infatigablement pour réaliser leurs rêves ».
Icaro, Éditions Anómalas, 28€, 108 p.
© Irene Zottala