Le photographe Francis Meslet a toujours trouvé dans les musiques de la maison de disques indépendante Ici d’ailleurs des univers au diapason de ses images. À l’occasion des 20 ans du label, il publie Mind Travels, un livre rassemblant ses photos, qui s’inscrivent dans le sillon de l’urbex. Une manière de faire écho à la collection éponyme dédiée aux musiques néo-classiques, ambient et industrielles. Rencontre. Cet article fait partie de notre dernier numéro.
Fisheye : Comment avez-vous croisé la route du label Ici d’ailleurs ?
Francis Meslet :
Cette expérience trouve ses sources il y a trente ans, quand un étudiant des Beaux-Arts, amoureux d’images et de musiques nouvelles, croise la route d’un jeune disquaire, passionné. C’était les années 1980, Nancy était très actif musicalement. On y trouvait un vivier de groupes, de structures, dont Permis De Construire, Les Disques du Soleil et de l’Acier (DSA), Semantic… De ce magma créatif a émergé le label Ici d’ailleurs sous l’impulsion de Stéphane Grégoire en 1997. Quant à moi, féru de patrimoine et d’architecture, je me suis lancé dans la photo d’exploration dans ma région, puis en voyageant. Je montrais régulièrement ce travail à Stéphane, sans autre intention que de partager mes nouvelles images, en même temps qu’il me faisait écouter ses nouveaux artistes. Suite à ces « joutes » rituelles, Stéphane s’est réveillé un matin avec l’idée de créer une collection au sein de son label, qui mêlerait mes images à ses musiques : Mind Travels était né.
Le nom du label fait écho à votre démarche d’interroger les traces laissées par l’homme dans le monde. Peut-on dire que la collection Mind Travels constitue la bande-son de vos images ?
Le logo choisi par le label exprime l’urgence qu’il y avait à proposer une alternative à la production musicale du moment. Prendre un autre chemin et vous embarquer avec nous. Ce que fait Ici d’ailleurs. Et ce que je veux aussi faire avec mes photos. Personne ne s’est concerté. La musique et les images ont ce point commun d’être des invitations au voyage, de laisser une entière liberté à celui qui en jouit. Ça marche ou ça ne marche pas. Au-delà de cette vision un peu binaire, il y a de la place pour tous les imaginaires. La collection et le livre ne sont que le moyen de locomotion pour aller de l’ici vers l’ailleurs. C’est pourquoi je ne parlerais pas de bande-son pour des images, pas plus que d’illustration visuelle pour une bande-son. C’est un tout, à prendre ou à laisser.
Dans les albums de cette collection et dans vos images, on retrouve une même relation entre la nature et les sites post-industriels. Une forme de contamination organique de l’érosion due au temps ?
Absolument ! Il y a dans cette musique et ces images comme un questionnement. Mais il y a aussi une invitation à trouver des réponses pour anticiper l’avenir dans la quiétude, la réflexion et la méditation. Les images d’une centrale électrique envahie par la végétation vous placent face à une incompréhension. Nous avons préféré aider le lecteur/auditeur à trouver ses propres réponses en favorisant sa réflexion. Immergé dans une ambiance musicale qui mêle une certaine nostalgie à de nouveaux regards tournés vers l’avenir. À la façon des rides sur un visage, la dégradation de ces lieux abandonnés et la croissance de la végétation sont autant de marqueurs du temps qui passe, mais aussi de la vie qui continue. Je reste admiratif devant le spectacle de la nature qui reprend ses droits, offrant une seconde vie et de nouvelles perspectives à une architecture sur le déclin. Les sites à l’abandon sont, pour la plupart, interdits d’accès, dangereux, et donc loin du regard de l’homme. Quand les photographies de ces lieux viennent aux yeux du public, on parle souvent de « capsule temporelle ». Elles deviennent une formidable machine à voyager dans le temps, et nous donnent une grande claque.
Dans l’urbex comme dans les musiques, où se trouve l’homme ? Dans son absence ? Dans ses silences ?
On m’a déjà reproché l’absence d’humain dans mes photographies. Sans aller jusqu’à m’étendre sur un divan pour expliquer mon attirance pour les espaces « silencieux », j’ai envie de répondre que mes images sont saturées de présence humaine, de silhouettes fantômes, de cohortes de travailleurs ou de visiteurs… Que les sons de leur voix, de leurs cris, de leurs chants peuvent en raconter beaucoup plus dans l’ombre et le silence que nulle part ailleurs. C’est la force de l’imagination au pouvoir. Laissez toutes les portes – de la perception – ouvertes, et vous les verrez, les entendrez. Une paire de chaussures de sécurité crasseuses au pied d’une turbine, une paire de lunettes sur un coin de table, une bible sur une table de nuit, la forme d’un coussin défoncé dans un canapé… la liste est sans fin.
Pensez-vous que les images peuvent « prolonger » l’écoute ?
Je le revendique puisque c’est la raison d’être de cette collection. À partir du moment où l’oeil se pose sur un point de l’image, une porte d’entrée qui peut être différente suivant le lecteur, l’esprit s’évade vers certains détails, matières, objets, perspectives. La musique agit comme un catalyseur, un amplificateur qui peut vous transporter plus loin, plus profond… Si l’alchimie avec le lecteur est bonne, les limites entre l’image et la musique s’estompent : c’est l’esprit Mind Travels !
Mind Travels, photographies de Francis Meslet, Mind Travels éditions, livre accompagné d’un CD 9 titres,
40 euros, 152 pages