Dans In the still night, un court-métrage réalisé au Japon, J.B. Braud met en scène un commissaire d’exposition en quête de libération. Une fiction touchante mettant à jour l’amour du réalisateur pour le 8e art.
Un hôtel luxueux au Japon. Un commissaire d’art las, aux portes d’une rupture. Une exposition photographique à laquelle il manque une pièce décisive. Une barrière des langues aussi mystérieuse que charmante… In the still night, court-métrage du photographe et réalisateur J.B. Braud cristallise, avec un mélange d’humour et d’onirisme, un instant de bascule dans la vie d’un homme. Un déclic qui naît face à la découverte d’un mur laissé vierge au cœur de l’exposition qu’il organise. « C’est une sorte de métahistoire, le mec ne s’est pas autorisé à faire un geste, et il finit par l’oser, ce qui le rend heureux », explique l’auteur.
C’est également au Japon que celui-ci découvre son amour pour le 8e art. « J’étais en voyage là-bas, en 2017, parti avec un Nikon F1. Je crois avoir capté au Japon des choses que les locaux ne voient pas, en portant un œil neuf sur un territoire étonnant. J’étais énormément inspiré par cet endroit à la fois proche et loin de nous. Je m’y suis plongé de manière assez instinctive, naturelle, authentique », se souvient-il. Sur place, il rencontre des producteurs et débute une série, intitulée Paris-Tokyo, racontant le parcours de créatifs de différents secteurs. Dans la foulée, il entame l’écriture de In the still night. Un film inspiré par sa propre expérience aux résonances intimes, presque mystiques. « On a tout tourné en trois jours, avec une petite équipe. Une performance, mais le lieu a beaucoup aidé : tout est sublime, et puisque nous shootions au même endroit, on se déplaçait très rapidement, comme dans un studio », précise-t-il.
Une psychanalyse vidéographique
Et, dans ce huis clos splendide, le rêve se déverse dans la réalité. Matthew Hyla, le héros – joué par Éric Wareheim – fantasme un tête-à-tête enivrant avec une jeune femme, dans un cabaret désert. En japonais, elle déclame des vers, et habite, de sa seule présence, les lieux étrangement vides. Un goût pour le fantastique inspiré par l’expérience même du réalisateur dans le pays du soleil levant. « Beaucoup de pays occidentaux se ressemblent beaucoup, il est difficile d’être dépaysé. Mais au Japon, malgré la solitude, le sentiment d’être face à l’inconnu est extrêmement fort, l’imaginaire est prégnant », confie-t-il. Fasciné, il fait du court-métrage une lettre d’amour au pays, comme une mise en scène de ses propres doutes, de sa propre vie. Une psychanalyse vidéographique fourmillant de clins d’œil à la culture cinématographique, comme photographique. « On retrouve dans le film la présence d’origamis évoquant Blade Runner, la red room de David Lynch, mais aussi le poème de Dylan Thomas, que j’avais découvert dans Interstellar de Christopher Nolan », énumère-t-il. À ces détails, s’ajoute le boîtier du commissaire – le Nikon qui l’a accompagné lors de sa découverte du territoire.
Dans cet univers riche, le spectateur se nourrit de l’immobilité, de la beauté calme des espaces confinés, pour tirer ses propres conclusions. Le protagoniste vit-il réellement cet instant cathartique, comme l’ultime image accrochée au mur le laisserait penser ? Ou bien est-il enfin capable de laisser son esprit divaguer, de se libérer des peines qui le restreignent ? « Cet entre-deux résume bien ce que j’avais moi-même ressenti sur place : on n’a pas l’impression d’être dans le réel, mais plutôt dans une sorte de monde parallèle. Cela m’a permis d’aborder plusieurs thématiques : la déception amoureuse, le rebond, le besoin de s’évader pour mieux se trouver, l’optimisme post-chagrin, le bénéfice de l’échec… », ajoute J.B. Braud.
Dans l’immobilité du temps
Au-delà de la fiction, pourtant, In the still night laisse transparaître l’amour de l’artiste pour le médium photographique. Témoin de chaque moment – présent jusque dans le rêve, et immortalisant la scène – le boîtier accompagne le protagoniste du film dans son parcours. Il l’ancre dans un présent exaltant, et cadre chacune de ses actions avec justesse. Des actions saisies par J.B. Braud avec un œil résolument photographique. « Le médium m’a permis de me former à la réalisation – faire une photo, c’est finalement raconter une histoire. Elle influence beaucoup mes plans, souvent fixes et posés », explique-t-il. Des compositions raffinées qui transparaissent notamment lors du songe, où les décors intérieurs brillent par leur symétrie, et où les jeux de lumière teintent chaque scène d’un voile dramatique.
Plus encore, l’exposition conçue par le protagoniste regorge de photographes émergents « que j’ai découverts sur Fisheye, d’ailleurs », s’amuse le réalisateur. Parmi eux ? David Sochanek, Simon Kerola, Robin Eyraud, Gui Martinez… et lui-même, qui signe deux clichés : celui du désert, et celui de « l’apparition ». Des œuvres théâtrales – des maisons qui explosent, des arbres morts, des terres sauvages – métaphores de la période sombre et trouble que traverse le héros. Et, dans l’immobilité du temps qui se fige lors d’un échange privilégié, dans les couloirs magnifiés par l’absence de la foule, dans le regard des auteurs qui projettent sur les murs des explosions d’émotions, et dans celui du commissaire d’exposition, cherchant à se libérer d’un quotidien pesant, J.B. Braud s’immisce avec délicatesse. Autofiction originale, In the still night explore avec un onirisme absolu l’amour pour l’autre, tout comme pour l’art.
© J.B. Braud