Du 6 octobre au 16 novembre, la galerie Remèdes à Paris, présente Correspondances¸ une exposition qui crée un dialogue entre le maître tchèque Jan Saudek et la photographe et sociologue française Irène Jonas, adeptes l’un et l’autre de l’épreuve argentique colorisée.
Mettre en dialogue Jan Saudek et Irène Jonas a été une évidence pour le photographe et curateur José Nicolas. En se plongeant dans les archives du maître tchèque de la photographie argentique peinte, il remarque des ponts et des filiations entre son travail et celui de la sociologue et photographe française. Naît alors Correspondances¸ exposition faites de discussions imaginaires entre les deux artistes, qui chérissent particulièrement l’épreuve argentique colorisée. Les liens entre les deux existent bel et bien, puisqu’Irène Jonas a découvert le travail de Jan Saudek en 1987, lors de sa première rétrospective au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. « Cette importante exposition consacrée au Tchèque a marqué profondément la photographe et l’a incitée à développer ses recherches sur la photographie peinte. La boucle est bouclée… », nous précise la Galerie Remèdes dans la présentation de l’exposition. Un parcours inédit s’ouvre à nous, qui devenons les invité·es d’une conversation prolifique, poétique et viscérale entre deux photographes aux connexions profondes.
La mémoire de l’occupation de la Tchécoslovaquie
Une grande partie du dialogue entre Jonas et Saudek se fait autour de leurs origines tchèques et de l’histoire de la Tchécoslovaquie, envahie par la Russie après la guerre. Lorsque Jonas découvre le travail de son compatriote (elle est fille d’un exilé russe en Tchécoslovaquie), elle reste éblouie par la nostalgie qui s’en dégage et qui incarne, à ses yeux, le sentiment de déracinement et de perte de perspectives de la personne qui connaît l’exil. Là où les critiques ont cru voir chez Saudek une volonté d’embellir ses clichés par le coloriage, la photographe y voit des échos de mélancolie. Elle évoque alors les larmes de son père lorsque, en 1968, les chars soviétiques ont écrasé le Printemps de Prague et le terrible sacrifice de l’étudiant Jan Pallach, s’étant immolé par le feu. L’image qui plus que toutes les autres saisit le regard d’Irène Jonas, est celle du petit garçon qui regarde les trains passer. Pour elle, ce cliché représente une véritable épiphanie. « Si cette image reste très marginale dans l’œuvre de Saudek et fait partie des rares clichés qu’il a pris en extérieur, l’enfermement y est pourtant criant, horizon bouché par la machine à vapeur, écrit-elle. Couleurs vives et pourtant surannées, souvenirs à jamais révolus des trains à vapeur et cet adolescent, posé sur la barre du passage à niveau comme un oiseau sur une branche, qui peut-être un jour lui aussi pourra enfin prendre ce train vers un ailleurs. Quand j’ai appris que sa famille, lui et son frère jumeau avaient été déportés en 1945, je n’ai plus regardé cette image de la même façon. » Sujet au contrôle policier, Jan Saudek photographie l’intimité, ce qu’il se passe entre les murs de sa maison. La paternité, les enfants, les femmes, les effets du temps qui passe… il choisit ses modèles dans son entourage pour ne pas attiser les soupçons, mais son œuvre est sans cesse boycotté par le gouvernement communiste, qui la considère immorale. Empruntant tant au portrait qu’à la photographie érotique, le travail de Saudek est avant tout un élan, une recherche de liberté corporelle au sein d’un régime oppressif et sans avenir.