Jan Saudek & Irène Jonas : déracinements entrelacés

09 octobre 2023   •  
Écrit par Costanza Spina
Jan Saudek & Irène Jonas : déracinements entrelacés
© Jan Saudek
© Irène Jonas

© Irène Jonas

Du 6 octobre au 16 novembre, la galerie Remèdes à Paris, présente Correspondances¸ une exposition qui crée un dialogue entre le maître tchèque Jan Saudek et la photographe et sociologue française Irène Jonas, adeptes l’un et l’autre de l’épreuve argentique colorisée.

Mettre en dialogue Jan Saudek et Irène Jonas a été une évidence pour le photographe et curateur José Nicolas. En se plongeant dans les archives du maître tchèque de la photographie argentique peinte, il remarque des ponts et des filiations entre son travail et celui de la sociologue et photographe française. Naît alors Correspondances¸ exposition faites de discussions imaginaires entre les deux artistes, qui chérissent particulièrement l’épreuve argentique colorisée. Les liens entre les deux existent bel et bien, puisqu’Irène Jonas a découvert le travail de Jan Saudek en 1987, lors de sa première rétrospective au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. « Cette importante exposition consacrée au Tchèque a marqué profondément la photographe et l’a incitée à développer ses recherches sur la photographie peinte. La boucle est bouclée… », nous précise la Galerie Remèdes dans la présentation de l’exposition. Un parcours inédit s’ouvre à nous, qui devenons les invité·es d’une conversation prolifique, poétique et viscérale entre deux photographes aux connexions profondes.

© Jan Saudek

La mémoire de l’occupation de la Tchécoslovaquie

Une grande partie du dialogue entre Jonas et Saudek se fait autour de leurs origines tchèques et de l’histoire de la Tchécoslovaquie, envahie par la Russie après la guerre. Lorsque Jonas découvre le travail de son compatriote (elle est fille d’un exilé russe en Tchécoslovaquie), elle reste éblouie par la nostalgie qui s’en dégage et qui incarne, à ses yeux, le sentiment de déracinement et de perte de perspectives de la personne qui connaît l’exil. Là où les critiques ont cru voir chez Saudek une volonté d’embellir ses clichés par le coloriage, la photographe y voit des échos de mélancolie. Elle évoque alors les larmes de son père lorsque, en 1968, les chars soviétiques ont écrasé le Printemps de Prague et le terrible sacrifice de l’étudiant Jan Pallach, s’étant immolé par le feu. L’image qui plus que toutes les autres saisit le regard d’Irène Jonas, est celle du petit garçon qui regarde les trains passer. Pour elle, ce cliché représente une véritable épiphanie. « Si cette image reste très marginale dans l’œuvre de Saudek et fait partie des rares clichés qu’il a pris en extérieur, l’enfermement y est pourtant criant, horizon bouché par la machine à vapeur, écrit-elle. Couleurs vives et pourtant surannées, souvenirs à jamais révolus des trains à vapeur et cet adolescent, posé sur la barre du passage à niveau comme un oiseau sur une branche, qui peut-être un jour lui aussi pourra enfin prendre ce train vers un ailleurs. Quand j’ai appris que sa famille, lui et son frère jumeau avaient été déportés en 1945, je n’ai plus regardé cette image de la même façon. » Sujet au contrôle policier, Jan Saudek photographie l’intimité, ce qu’il se passe entre les murs de sa maison. La paternité, les enfants, les femmes, les effets du temps qui passe… il choisit ses modèles dans son entourage pour ne pas attiser les soupçons, mais son œuvre est sans cesse boycotté par le gouvernement communiste, qui la considère immorale. Empruntant tant au portrait qu’à la photographie érotique, le travail de Saudek est avant tout un élan, une recherche de liberté corporelle au sein d’un régime oppressif et sans avenir.

Explorez
Saint-Valentin : les photographes de Fisheye montrent d’autres visions de l’amour
© Nick Prideaux
Saint-Valentin : les photographes de Fisheye montrent d’autres visions de l’amour
Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les thématiques...
14 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dans les songes dionysiaques de Hui Choi
© Hui Choi. The Swan's Journey.
Dans les songes dionysiaques de Hui Choi
Le photographe chinois Hui Choi traduit les contradictions des émotions humaines en images empreintes de lyrisme. S’inspirant de la...
14 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
13 séries photo qui offrent une vision moins idyllique de l’amour
© Nolwen Michel
13 séries photo qui offrent une vision moins idyllique de l’amour
Si les relations amoureuses font rêver les plus romantiques d’entre nous, pour d’autres, elles évoquent des sentiments bien moins joyeux....
13 février 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La sélection Instagram #493 : aimer l'amour
© Giovanni Mourin / Instagram
La sélection Instagram #493 : aimer l’amour
Romance, amitié, famille, notre sélection Instagram de la semaine célèbre l’amour sous toutes ses formes, sous toutes ses expressions et...
11 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 17.02.25 au 23.02.25 : sonder la société
© Aletheia Casey
Les images de la semaine du 17.02.25 au 23.02.25 : sonder la société
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye sondent la société par l’entremise de mises en scène, de travaux...
23 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
Kara Hayward dans Moonrise Kingdom (2012), image tirée du film © DR
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
L'univers de Wes Anderson s'apparente à une galerie d'images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du...
22 février 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
© Aletheia Casey
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
À travers A Lost Place, Aletheia Casey matérialise des souvenirs traumatiques avec émotion. Résultant de cinq années de travail...
21 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Javier Ruiz au rythme de Chungking
© Javier Ruiz
Javier Ruiz au rythme de Chungking
Avec sa série Hong Kong, Javier Ruiz dresse le portrait d’une ville faite d’oxymores. Naviguant à travers le Chungking Mansions et les...
21 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger