« Je voulais représenter la complexité de l’humanité à travers les paysages »

21 juin 2018   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Je voulais représenter la complexité de l’humanité à travers les paysages »

Yan Wang Preston, photographe d’origine chinoise a réalisé plusieurs voyages dans son pays natal, de 2010 à 2014, dans le but de photographier la rivière Yangtze. Un projet ambitieux visant à représenter la Chine contemporaine. Entretien avec l’artiste.

Fisheye : Comment a débuté ta relation avec la photographie ?

Yan Wang Preston : J’avais d’abord commencé des études de médecine en Chine. Mais lorsque je suis arrivé au Royaume-Uni, en 2005, je me suis tournée vers la photographie. C’était le choix le plus fou que j’ai jamais fait. Mais le pouvoir de la photo m’attirait. Je pouvais ressentir son incroyable beauté, et son pouvoir déchirant, en contemplant des clichés de la Chine.

Quel est ton processus de création ?

Il change souvent. Je dirais que je me base sur mes recherches et ma réflexion. Je veux tout savoir sur mes sujets, pas simplement leur représentation visuelle, mais aussi la géologie des lieux, leur histoire, leur contexte politique… Ainsi, mes photos ne proposent pas une nouvelle facette du sujet représenté.

Peux-tu me parler de ton projet, Mother River ?

C’est un projet très ambitieux, que j’ai réalisé durant quatre ans, de 2010 à 2014. Durant ces années, j’ai photographié les 6 211 kilomètres de la Yangtze River, par intervalle de 100 kilomètres, appelés points Y. J’utilisais seulement un appareil photo grand format. C’était un travail de longue haleine, et il m’a fallu surpasser de nombreuses difficultés physiques, logistiques, émotionnelles et artistiques pour produire ce récit de la Chine contemporaine – de ses campagnes à l’ouest jusqu’à ses métropoles à l’est.

Pourquoi la rivière Yangtzee ?

C’est la « rivière mère » de la Chine. Elle est souvent représentée par des lieux emblématiques. Mais je souhaitais bousculer cette images conventionnelle. Mon travail ne donne pas à voir de paysage pittoresque ou d’apparition du sublime. C’est une collection de territoires banals et aléatoires qui n’ont jamais – ou très peu – été photographiés jusqu’alors.

© Yan Wang Preston

Y2, à 100 km de la source de la rivière

Le choix d’un appareil grand format t’a aidé dans cette représentation ?

Oui. C’est un appareil lent à utiliser, il reflète avec perfection ma manière de travailler. De plus, il enregistre énormément de détails topographiques. Pour moi, ces détails sont primordiaux et racontent l’histoire de la rivière.

Comment s’est déroulé ce long voyage ?

C’était un périple de quatre ans, au cours duquel j’ai effectué huit voyages en Chine. Chacun d’eux durait entre un et trois mois. Au cours des quatre premiers, j’ai visité différentes zones de la rivière, pour mieux la comprendre. Je l’ai prise en photo et j’ai interagi avec elle – en touchant l’eau, ou en nageant. En 2013, j’ai commencé à photographier les points Y. Quatre voyages très intenses. Si j’ai souvent voyagé avec un conducteur, je réalisais mes images seul. Personne ne me disait quoi faire.

As-tu fait des rencontres marquantes durant ces séjours ?

Chaque découverte des points Y était marquante. Elles m’ont appris énormément de choses sur la rivière, ses habitants, et finalement mon pays. J’ai aussi rencontré beaucoup de gens, et échangé avec eux des histoires. Je me souviens d’un homme, à Y21. Il me parlait de l’importance d’un arbre, un noyer. Si celui-ci donnait de bons fruits, il pouvait économiser un peu d’argent. Mais il a aussi partagé avec moi les difficultés de sa vie : sa terre natale risquait d’être inondée par l’un des barrages de la rivière Yangtze.

Avais-tu une idée claire du résultat final dès le premier voyage ?

Je savais quel genre de photographie réaliser dès le début du projet. Je voulais représenter la complexité de l’humanité à travers les paysages. Je ne voulais pas de belles images, mais des photos qui touchent : le cœur, les yeux et l’esprit. Bien sûr, à cause des contraintes des lieux, cela n’arrivait pas toujours, mais c’était un challenge très intéressant.

© Yan Wang Preston

Y6, à 500 km de la source de Yangtze

© Yan Wang Preston

Y11, à 1000 km de la source de la rivière

© Yan Wang Preston

Y13, à 1200 km de la source de Yangtze

© Yan Wang Preston© Yan Wang Preston

à g. Y17, à 1600 km et à d. Y25, à 2400 km de la source de la rivière

© Yan Wang Preston

Y32, à 3600 km de la source de Yangtze

© Yan Wang Preston

Y41, à 4000 km de la source de la rivière

© Yan Wang Preston

Y57, à 5600 km de la source de Yangtze

© Yan Wang Preston

Y60, à 5900 km de la source de la rivière

© Yan Wang Preston

Y63, à 6200 km de la source de Yangtze

Afin de continuer cette aventure, Yan Wang Preston projette de publier Mother River sous la forme d’un livre. Il a créé une campagne de financement participatif afin de concrétiser ce projet. Vous pouvez l’aider jusqu’au 30 juin. 

© Yan Wang Preston

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