Jill Freedman : photographe humaniste au grand cœur

15 novembre 2023   •  
Écrit par Costanza Spina
Jill Freedman : photographe humaniste au grand cœur
© Jill Freedman
© Jill Freedman
© Jill Freedman
© Jill Freedman

Jusqu’au 2 décembre, la Galerie Rouge à Paris dédie la première exposition personnelle en France à Jill Freedman. Photographe humaniste au grand cœur, elle a immortalisé avec une justesse rare et beaucoup de soin, les vies marginales du New York des années 1960-1970.

Formidable conteuse d’histoires, engagée au grand cœur, photographe révoltée au regard acéré, Jill Freedman (1939 – 2019) est l’une des figures les plus importantes de la photographie étasunienne du 20e siècle. Peu connue en France, la Galerie Rouge lui consacre pour la première fois une exposition personnelle. Toujours au plus près de ses sujets, l’autrice photographie ces personnes comme si elles étaient ses ami·es voire sa famille. Elle dévoile ainsi toute la complexité de ces relations et les restitue avec véracité, sans jugement aucun. Dans son objectif, les vies marginales conquièrent enfin le premier plan. Voyageant au sein de communautés dites « fermées », la photographe donne à voir ce que l’œil de la normativité refuse de regarder et qui pourtant recèle des expériences humaines sublimes. Sa photographie a pu être qualifié de « sombre » ou de « brute », mais elle s’apparente plutôt à une retranscription de la réalité profondément humaniste, remplie de soin et d’attention pour les sujets photographiés, et d’un sens de l’humour très aiguisé. L’exposition s’articule autour de trois « mondes » que l’artiste a côtoyés et photographiés sur la longue durée : les rues de New York, sa ville d’adoption depuis 1964 ; la Marche des pauvres sur Washington organisée à la suite de l’assassinat de Martin Luther King en 1968 ; et la vie d’un cirque itinérant dans le Sud-Est des Etats-Unis dans les années 1970.

Une photographe révoltée et profondément libre

Jill Freedman se définissait de « politiquement engagée » au nom de la liberté qu’elle insufflait à ses photographies. La liberté, pour elle, était le plus important des engagements politiques. Après avoir arpenté l’Europe et avoir séjourné, entre Paris et Marseille, elle se rend à New York, où elle élit domicile au Greenwhich Village. Les rues de la Grosse Pomme sont le plus emblématique de ses thèmes de travail et constituent l’essentiel de son corpus, aujourd’hui mis en avant par l’exposition à la Galerie Rouge. Quartier à la fraîcheur intellectuelle effervescente, il est son terrain de travail pendant trois décennies, durant lesquelles elle n’aura cesse de narrer les histoires des personnes marginalisées qui y vivent. Ces vies, représentées toujours avec une délicatesse et une bienveillance hors pair, sont riches de scènes et de personnages uniques, emblématiques de la condition humaine. Ce sont des vies « empêchées », comme le dirait la sociologue new-yorkaise Judith Butler, qui a largement exploré la question du genre et de la marginalité dans ses ouvrages. Ces microcosmes frénétiques, elle ne les regarde pas avec voyeurisme, mais avec une grande honnêteté et une écriture photographique, parfois naïve. À la différence du monde de l’art contemporain qui, encore aujourd’hui, n’a pas abandonné son snobisme, la photographie humaniste de Freedman exprime un sens de révolte plein d’amour et d’un réel souci de soin. En plongeant dans les sept livres qu’elle a publiés autour de ses années à Greenwhich, un monde s’ouvre sur les communautés en marges. C’est une précieuse fenêtre sur la vie de celles et ceux que la norme dominante considère comme « moins dignes » d’exister. En ce sens, Freedman est plus qu’une photographe humaniste : elle est une artiste au grand cœur. Son œuvre se caractérise par une volonté d’être au plus près de ceux et celles qu’elle photographie afin de restituer les relations humaines dans toute leur complexité avec comme seuls guides l’altruisme et l’absence de jugement. 

© Jill Freedman
© Jill Freedman
© Jill Freedman
© Jill Freedman
© Jill Freedman
© Jill Freedman
Explorez
3 questions à Juliette Pavy, photographe de l’année SWPA 2024
En plus de la douleur et des saignements, ces “spirales“ sont également à l’origine de graves infections qui ont rendu leurs victimes définitivement stériles. © Juliette Pavy
3 questions à Juliette Pavy, photographe de l’année SWPA 2024
À travers son projet sur la campagne de stérilisation forcée au Groenland entre 1966 et 1975, la photographe française Juliette...
29 avril 2024   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Hailun Ma, pour l'amour du Xinjiang
© Hailun Ma, Kashi Youth (2023) / Courtesy of the artist, Gaotai Gallery and PHOTOFAIRS Shanghai (25-28 avril, Shanghai Exhibition Centre)
Hailun Ma, pour l’amour du Xinjiang
Que savons-nous de la vie des jeunes de la province du Xinjiang, en Chine ? Probablement pas grand-chose. C’est justement dans une...
26 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Quand les photographes utilisent la broderie pour recomposer le passé
© Carolle Bénitah
Quand les photographes utilisent la broderie pour recomposer le passé
Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les...
25 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les femmes s'exposent à Houlgate pour une nouvelle édition !
© Alessandra Meniconzi, Mongolia / Courtesy of Les femmes s'exposent
Les femmes s’exposent à Houlgate pour une nouvelle édition !
Le festival Les femmes s'exposent réinstalle ses quartiers dans la ville normande Houlgate le temps d'un été, soit du 7 juin au 1er...
24 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Nos derniers articles
Voir tous les articles
BMW ART MAKERS : les dégradés célestes de Mustapha Azeroual et Marjolaine Lévy
© Mustapha Azeroual / BMW ART MAKERS
BMW ART MAKERS : les dégradés célestes de Mustapha Azeroual et Marjolaine Lévy
La résidence BMW de la Photographie, programme de soutien à la création, accueille cette année le duo d’artiste/curatrice composé par...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Milena Ill
La sélection Instagram #452 : la danse sous toutes ses formes
© Aleksander Varadian Johnsen / Instagram
La sélection Instagram #452 : la danse sous toutes ses formes
Cette semaine, les photographes de notre sélection Instagram capturent les corps – et même les éléments – qui dansent à en perdre...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
3 questions à Juliette Pavy, photographe de l’année SWPA 2024
En plus de la douleur et des saignements, ces “spirales“ sont également à l’origine de graves infections qui ont rendu leurs victimes définitivement stériles. © Juliette Pavy
3 questions à Juliette Pavy, photographe de l’année SWPA 2024
À travers son projet sur la campagne de stérilisation forcée au Groenland entre 1966 et 1975, la photographe française Juliette...
29 avril 2024   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Les coups de cœur #490 : Guillaume Nedellec et Simona Pampallona
© Guillaume Nedellec
Les coups de cœur #490 : Guillaume Nedellec et Simona Pampallona
Nos coups de cœur de la semaine, Guillaume Nedellec et Simona Pampallona, nous plongent tous·tes deux dans une esthétique en...
29 avril 2024   •