Dans Nouvelles amours, Julie De Sousa photographie des relations atypiques, et des corps qui s’enlacent. Une invitation à découvrir une autre intimité, une autre manière d’envisager l’amour.
Polyamoureux, libertins, monogames… Dans les images de Julie De Sousa, les étreintes se veulent singulières. Unis par un filtre monochrome, les corps photographiés s’approchent, s’apprivoisent, s’enlacent, dans une intimité décomplexée, et oublient, l’espace d’un instant, l’objectif et son rôle de témoin. C’est là la finesse de l’autrice parisienne de 26 ans. « J’aime créer un cadre intimiste avec mes sujets, je veux qu’ils se sentent en confiance, comme avec une amie. D’ailleurs, il m’arrive souvent de partir faire des photos et de revenir sans – parce que c’est trop tôt, ou que je ne me suis pas sentie à l’aise », confie-t-elle.
Ancienne danseuse, la photographe a toujours perçu le corps comme « une composante essentielle de l’identité ». Un élément structurant qui influence, détermine notre relation à l’autre, et à l’environnement. « Le corps incarne, exprime, guide, trompe. Il n’est pas qu’une enveloppe qui s’adresse à la sensibilité esthétique, il est également une médiation – la plus naturelle et la plus intime aux émotions », précise-t-elle. Capturant les silhouettes d’ami·e·s, de nouvelles rencontres, ou même la sienne, Julie De Sousa raconte des histoires. Des témoignages charnels où la parole cesse d’exister, pour donner voix au physique.
Une volonté de vivre librement
Dans Nouvelles amours, la photographe s’intéresse aux couples atypiques, aux relations plurielles – qu’elles soient éphémères ou durables. « Je souhaitais vivre, sans aucun jugement normatif, ces histoires d’amour. Les capturer, loin des caricatures qui leur collent souvent à la peau », explique-t-elle. Fidèle à sa volonté de connaître ses modèles, l’artiste ne précipite jamais la prise de vue. « Je les rencontre principalement sur des groupes Facebook destinés aux PolyA. J’y partage mon projet, et je laisse les intéressés venir vers moi », confie-t-elle. Parmi eux, un couple anonyme libertin de 27 ans, qui se laissent tenter par l’expérience – une première pour eux. Une manière de se dévoiler, et de partager leur vision du couple au public, tout en gardant leur identité secrète. « Je pense que le bonheur réside dans le mien et celui de l’autre. Je le laisse donc vivre et rencontrer les personnes qu’il veut, ensemble ou séparément. La seule limite est l’amour », déclare la jeune femme, après avoir posé pour Julie De Sousa. « J’aime vivre des aventures longues, revoir souvent les personnes et lier des liens forts. Je suis très séducteur avec mes amis, aussi bien avec les hommes qu’avec les femmes. J’aime beaucoup le jeu et la tension que cela apporte. Je ne vois pas le sexe comme une finalité, mais comme un plaisir ajouté à mes relations amicales. J’aime intégrer d’autres gens dans ma relation, autant pour me faire plaisir, que pour contenter ma copine », ajoute son compagnon.
Pour l’autrice, ces confessions sont précieuses. Elles témoignent d’une volonté de vivre librement, tout en respectant l’autre. Une vision du polyamour encore peu diffusée. « Chacun a sa vision de la relation et invente ses propres règles. Pour certains, le lien à(aux) l’autre(s) est primordial, et implique le désir de construire ensemble, mais aussi la jalousie, la peur de perdre l’autre… Pour d’autres, il s’agit d’abord d’une liberté au niveau individuel, qui se pose comme une condition non négociable. Je crois que tout est une histoire de choix. Il ne faut pas voir l’autre comme un frein à sa liberté, mais comme un partenaire pour la conquérir », explique-t-elle.
Désirer et être désiré·e
Une ouverture d’esprit qui lui permet de s’approcher au plus près de ses sujets. Car durant les prises de vue, les corps ne mentent pas. Nu·e·s, les protagonistes s’adonnent à leur désir, et oublient, l’espace d’un instant, la présence intrusive de l’appareil photo – au point que, parfois, les modèles se laissent emporter par leur envie et passent à l’acte. « La première fois où cela m’est arrivé, ma réaction a été de me diriger vers la porte. Après un moment d’hésitation, je leur ai demandé s’ils voulaient que je sorte, et ils m’ont invitée à rester avec eux dans la chambre », confie la photographe. Voyeuse ou simple témoin ? Pour Julie De Sousa, tout est question d’égalité. En instaurant une confiance dès les premiers instants, sa présence devient presque bénéfique – elle met en lumière les questionnements, les incertitudes, et les plaisirs d’une union.
Mais comment les modèles réagissent ? La prise de vue devient-elle un fantasme ? L’appareil est-il un simple outil permettant de figer l’action, ou devient-il acteur, à part entière, d’une histoire à plusieurs ? « Ce qui m’intéresse, c’est le désir. Le moment où se noue cette émotion érotique. Même lorsque je réalise des autoportraits, j’éprouve un certain plaisir à séduire celui qui regarde, car, même si nous ne nous rencontrerons probablement jamais, j’ai conscience de son regard », confie la photographe. Et il en va de même pour ses sujets. Sensuelle, Nouvelles amours, ne se lit pas simplement comme une étude des relations humaines, mais avant tout comme un besoin de désirer et d’être désiré·e. Sans jugement aucun, l’autrice construit un univers intime, fusionnel, où les silhouettes se rejoignent et inventent, sans limites, de nouvelles histoires. Alors que la crise sanitaire prive le monde entier de contact charnel, la série de Julie De Sousa s’impose comme une incitation à la liberté, aux plaisirs les plus instinctifs.
© Julie De Sousa