Cet été, le Château de Tours accueille deux expositions personnelles captivantes, mises en avant par le Jeu de Paume. Un jeu explorant les possibilités physiques de la photographie, résultat du travail de l’artiste visuelle Arina Essipowitsch, côtoie les fragments d’intimité de la vie de famille de Julien Magre.
Du 23 juin au 29 octobre 2023, Au cœur de la forteresse médiévale du plus ancien quartier de Tours, deux figures de la création contemporaine partagent leur démarche introspective avec le public local. Les photographies du Français Julien Magre, lauréat du Prix Nièpce Gens d’Images, à la pudeur rare, nous rendent témoins de ses bouleversements existentiels, tandis que l’œuvre de Arina Essipowitsch, née à Minsk, en Biélorussie, donne à contempler un paysage confondu avec l’âme humaine. Cet été, le Jeu de Paume met à l’honneur les parcours de vie personnels : la réflexion que développe Arina Essipowitsch avec Déplier l’image, portant sur la notion de déplacement et d’identité, est liée à un vécu fait de migrations, d’adaptation et d’ambiguïté. Julien Magre livre quant à lui un récit sensible et douloureux, ancré dans le réel. Avec sobriété et élégance, l’un et l’autre exposent une géographie de la sensibilité, dans une tentative d’atteindre une forme d’humilité – condition première pour avoir accès à la beauté profonde de l’existence sur Terre.
Julien Magre, photographe obsessionnel
Au rez-de-chaussée du château, Julien Magre présente l’intégralité de sa série En vie, ainsi qu’un diaporama défilant sur une bande-son aux notes funèbres du compositeur Julien Perez – « un film étrangement prémonitoire », confie-t-il. Mise en espace par l’artiste lui-même, l’exposition est une fresque qui s’étale sur plus de vingt ans, décomposée en quatre chapitres. Aux premières amours avec sa future épouse succède la constitution d’une famille, puis la « déconstruction », déclenchée par la disparition tragique de sa fille, Suzanne, en 2015. Enfin, depuis quelques années, le lent relèvement. La photo se dévoile au fil de l’exposition comme instrument de séduction puis, progressivement, comme un guetteur qui s’immisce parfaitement dans l’intimité du cocon familial. Chaque cliché, au fil du parcours, semble poser une question à la photographie elle-même et à son pouvoir. Que peut-elle face à la tragédie ?
Dans un désir de raconter l’à-côté, le « work in progress » d’après l’expression de Julien Magre, l’exposition est enrichie d’images placées dans des vitrines. Nourries par une véritable profondeur de champ, ses photographies se situent à une distance toujours parfaitement millimétrée de ses sujets. Parfois chaleureuses, souvent mystérieuses, elles offrent à voir un paysage familial pris dans son propre mouvement, sur plus de vingt années d’existence. L’intensité des regards de ses proches provoque chez l’auteur confusion, et désir de comprendre. Baignée d’une douce mélancolie, la photographie de Julien Magre est un acte de survie, un refus nécessaire et vital de la fatalité.
Déplier l’image, ou les mille facettes du paysage
Dans un registre autrement contemplatif, Arina Essipowitsch déploie quant à elle un périple autour du fleuve de la Loire, résultat d’une résidence de quelques mois dans les environs de Tours. Elle choisit d’explorer la surface de la nature, de l’architecture et de l’humain – éléments qui s’intègrent dans ces clichés comme des fragments. Une collection constituée d’à peine une douzaine de photographies argentiques en noir et blanc lui sert de matière afin de construire un grand pliage, à mi-chemin entre le puzzle et le jeu de memory photographique, modulable à l’infini. Les images du paysage peuvent être pliées, dépliées, posées à la verticale par les visiteurices selon leur souhait, jusqu’à faire disparaître entièrement l’initiale, et en créer une nouvelle.
« Au-delà du fait que mes œuvres offrent de nombreuses combinaisons possibles, elles sont avant tout le résultat d’un va-et-vient entre ce que j’observe et ce que je recherche, c’est-à-dire capturer l’ensemble de ce parcours », explique celle qui a arpenté le fleuve de long en large. Les images sont imprégnées d’odeurs multiples, manière de ramener pleinement l’expérience de la forêt au sein du Château, et de marquer pleinement la mémoire des visiteurices. Au cours de la performance d’ouverture de son exposition, l’artiste aura déployé une image fluide, en changement constant, telle l’eau du fleuve, pour raconter un voyage à travers le paysage, comme l’identité de soi-même. Dans son travail, dans ses gestes, tout est mesuré, compté avec minutie. Avec ce jeu d’exploration non seulement visuel, mais aussi olfactif et tactile, Arina Essipowitsch ouvre un champ infini aux possibilités de la photographie.