Kiana Hayeri et Mélissa Cornet remportent la 14e édition du Prix Carmignac

05 septembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Kiana Hayeri et Mélissa Cornet remportent la 14e édition du Prix Carmignac
Kaboul, Kaboul, Afghanistan, 29 février 2024. Des journalistes féminines travaillent dans le bureau d'un média axé sur les femmes. Depuis l'arrivée au pouvoir des talibans en août 2021, le paysage médiatique afghan a été décimé. Selon Reporters sans frontières, dans les trois mois qui ont suivi la prise de pouvoir des talibans, 43 % des médias afghans ont disparu. Depuis, plus des deux tiers des 12 000 journalistes présents dans le pays en 2021 ont quitté la profession. Pour les femmes journalistes, la situation est bien pire : obligées de se couvrir le visage, de voyager avec un chaperon, interdites d'interviewer des officiels, soumises au harcèlement et aux menaces, plus de 80 % d'entre elles ont cessé de travailler entre août 2021 et août 2023, selon Amnesty International. Sans reporters féminines, il devient de plus en plus difficile de rendre compte de la situation des femmes afghanes dans une société où les hommes sont rarement autorisés à les interviewer. Les sujets concernant les droits des femmes sont particulièrement sensibles, et la pression exercée sur les médias et les journalistes a fait de l'autocensure la nouvelle norme pour les reportages. © Kiana Hayeri pour Fondation Carmignac
Photographie de Kiana Hayeri montrant des enfants jouant dans la neige en Afghanistan.
Kaboul, Kaboul, Afghanistan, 3 février 2024. Des filles jouent dans la neige à l’ouest de Kaboul, derrière un immeuble, en retrait de la route principale. Depuis la prise de pouvoir, les droits des femmes et des filles de se déplacer sans chaperon masculin ou d’aller dans les parcs ont été restreints, et il reste très peu d’occasions de trouver de la joie dans leur vie quotidienne. Une tempête de neige dans un quartier calme de la banlieue ouest de Kaboul a offert une telle opportunité pendant une heure de jeu ensemble. Même alors, un œil est toujours gardé sur les environs, à la recherche d’un signe de patrouille talibane. © Kiana Hayeri pour Fondation Carmignac

Le jury du Prix Carmignac a récompensé Kiana Hayeri et Mélissa Cornet pour Afghanistan: No Woman’s Land. Cette édition 2024 est consacrée à la condition des femmes et des filles en Afghanistan depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021.  

Cela fait maintenant trois ans que les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan. Selon les recherches d’Amnesty International, les conditions de vie imposées aux femmes et aux filles pourraient constituer un crime contre l’humanité de persécution fondée sur le genre. Pendant six mois, Kiana Hayeri et Mélissa Cornet ont traversé sept provinces du pays afin de rendre compte de cette réalité où la moitié de la population a été effacée de la vie publique et ne peut plus s’instruire, travailler, s’habiller ou encore sortir de chez elle librement. Pour ce faire, la photojournaliste canado-iranienne et la chercheuse française sont allées à la rencontre d’une centaine de ces femmes, parmi lesquelles figurent notamment des enfants, des mères horrifiées de voir l’histoire se répéter, des journalistes, des activistes et des membres de la communauté LGBTQIA+. Ce vaste projet, intitulé Afghanistan: No Woman’s Land, a valu au duo d’être récompensé du Prix Carmignac. 

Photographie de Kiana Hayeri montrant une femme et des enfants jouant dans des flaques d'eau en Afghanistan.
District de Yamit, Badakhshan, Afghanistan, 10 mai 2024. La fille de Kheshroo et sa cousine, toutes deux élèves de 11e année, se sont suicidées un an auparavant en se jetant à l’eau après avoir été expulsées de l’école. La famille joue dans des flaques d’eau, parmi des troupeaux de yaks, de chevaux et de chèvres, devant les montagnes du Wakhan, une région qui n’avait jamais été contrôlée par les talibans avant 2021. © Kiana Hayeri pour Fondation Carmignac
Photographie de Kiana Hayeri montrant une famille afghane expulsée du Pakistan depuis le retour des talibans.
Jalalabad, Nangarhar, Afghanistan, 12 février 2024. Une famille, récemment expulsée du Pakistan, s’est temporairement installée dans un quartier de la banlieue de Jalalabad, dans l’est de l’Afghanistan. Des centaines de milliers d’Afghans ont été forcés de quitter le Pakistan à la suite de la répression en cours contre les étrangers illégaux, certains après des décennies de vie au Pakistan. Les femmes et les filles sont les plus touchées par les conséquences du déplacement forcé, avec par exemple des taux élevés de mariages d’enfants. © Kiana Hayeri pour Fondation Carmignac
Photographie de Kiana Hayeri montrant une jeune femme afghane allant étudier malgré les risques depuis le retour des talibans.
Kaboul, Kaboul, Afghanistan, 17 février 2024. Un institut privé dans l’ouest de Kaboul où les filles suivent le programme américain en anglais, mais ne peuvent obtenir aucun certificat officiel d’éducation afghan, ni aller à l’université en Afghanistan, fermée aux femmes. C’est un cas rare où l’école a réussi à obtenir l’approbation locale des talibans pour fermer les yeux sur ses activités avec des adolescentes. 700 lycéennes étudient chaque jour dans cet institut sous des mesures de sécurité strictes, tandis que deux gardes armés de la communauté surveillent la porte et que les filles entrent et sortent une par une, laissant leurs sacs à dos à l’entrée. Malgré les attaques de kamikazes survenues avant la prise de pouvoir, l’institut reste plein de filles dont les rêves sont désormais de quitter le pays pour poursuivre leurs études à l’étranger. Malgré les promesses des talibans, les lycées pour filles n’ont jamais rouvert après la chute. À ce jour, les filles ne sont autorisées à étudier que jusqu’à la 6e année et sont interdites de fréquenter les lycées et les universités. Cependant, des écoles clandestines installées dans des maisons, des mosquées ou des espaces alternatifs continuent d’éduquer les filles, au prix d’un risque élevé. © Kiana Hayeri pour Fondation Carmignac

Les femmes, premières victimes des crises de l’Afghanistan

Entremêlant photographie, dessin, vidéo et œuvres d’art créées en collaboration avec les adolescentes rencontrées, Kiana Hayeri et Mélissa Cornet ont ainsi témoigné de la perte d’espoir de leurs interlocutrices. « Nous avons oublié toute joie, nous ne savons pas où en trouver. J’ai perdu toute ma motivation, je pleure toute seule en cachette. C’est comme si on m’avait enfermée dans une pièce dont je n’ai pas le droit de sortir. Je ne trouve même plus de goût à la nourriture », explique une militante féministe avec laquelle elles se sont entretenues, qui a décidé de fuir cette région où toute perspective n’est plus. De fait, privées de leurs droits les plus fondamentaux, les femmes sont les premières victimes des crises économiques, alimentaires et sanitaires qui surviennent en Afghanistan. 

Depuis 2009, le Prix Carmignac soutient les photographes sur le terrain en décorant un reportage d’investigation sur les violations des droits humains dans le monde et les enjeux géostratégiques qui en découlent. Les projets primés sont diffusés par le biais d’une exposition itinérante et d’un site Internet dédié. Afghanistan: No Woman’s Land sera notamment présenté au Réfectoire des Cordeliers, à Paris, du 25 octobre au 18 novembre 2024. La série fera également partie de la programmation de la deuxième édition de la Nuit du photojournalisme, qui aura lieu au même endroit le samedi 9 novembre. 

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