La chasse aux trésors des souvenirs de Nhu Xuan Hua

30 septembre 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La chasse aux trésors des souvenirs de Nhu Xuan Hua

Dans Tropism, Nhu Xuan Hua se livre à une enquête singulière au cœur du vaste dédale de la mémoire. À travers un album de famille réinventé – présenté cette année au festival d’édition photo indépendante Rolling Paper –, elle matérialise ces fluctuations des souvenirs qui nous condamnent à l’oubli.

« Ils entrent dans la pièce et lisent : / Chers doigts avec des traits de crayon, / Avez-vous déjà fait l’expérience d’une étrange réaction corporelle déclenchée par des émotions éparses ?

 » C’est en ces mots liminaires, consignés sur une feuille volante elle-même scellée dans une petite enveloppe de papier blanc, que commence Tropism. Au cœur de son bel ouvrage, Nhu Xuan Hua interroge le devenir des sensations. Dans le creuset de la mémoire inexacte, celles-ci portent en elles ces bribes de souvenirs qui reviennent par à-coup. Le bruit des couverts qui s’entrechoquent lors d’un dîner de famille, le parfum des glaïeuls qui embaument l’atmosphère, la vision d’une forme endormie dans quelques lieux disparus… « Voulez-vous vous asseoir avec moi ? / Partager le repas de l’anamnèse », nous propose la photographe. Telle une chasse au trésor, notre hôtesse nous convie dans ce dédale familier et universel de l’oubli.

Régir les souvenirs volatiles

« Se souvenir, c’est accepter que quelque chose ait été oublié, que quelque chose ait été perdu, et que quelque chose qui a été possédé ait besoin d’être retrouvé »

, affirme Nhu Xuan Hua dans cette même lettre-poème. Des figures floues à l’apparence spectrale se déclinent au fil des pages. Ces dernières, cartonnées et difficiles à tourner, matérialisent la résistance à laquelle nous nous heurtons. Et des réminiscences inattendues jaillissent de ces visions lentes et saccadées où les silhouettes s’effacent peu à peu. Parfois, certains éléments de contextes révèlent quelques indices : un pull en laine fuchsia, une chevelure soyeuse, un bouquet de fleurs blanches, de vieilles chaises tapissées, un gâteau d’anniversaire, un vélo flambant neuf, les embruns salés… À l’instar des souvenirs, les cinq sens s’entremêlent dans un mouvement fluctuant où fusionnent les espaces et les êtres qui habitent les archives familiales.

Au cœur de ce dédale chaotique, seule la « re-membrance » – ce souvenir physique qui sommeille dans les membres et les sens – fait régner un semblant d’harmonie. Comme nulle autre substance, elle parvient à tracer un nouvel itinéraire qui relie le passé incertain au présent évanescent. « Il, Elle, Ils, Ici et Là ne font plus qu’un après avoir été séparés pendant si longtemps », assure l’artiste. Dans ce territoire en deux dimensions, les éléments qui composent les clichés « se promènent, se rencontrent, dansent, se multiplient, se dissipent, se transforment, se perdent et disparaissent à nouveau ». Dans leur sillage se distille ainsi l’obsédante présence d’une nostalgie lancinante, inlassablement vouée à régir les souvenirs.

 

Tropism, Consequences of a Displaced Memory, Area Books, 52 p., 43 €.

© Nhu Xuan Hua

© Nhu Xuan Hua

© Nhu Xuan Hua

© Nhu Xuan Hua

© Nhu Xuan Hua

© Nhu Xuan Hua

© Nhu Xuan Hua

© Nhu Xuan Hua

© Nhu Xuan Hua

Explorez
Insomnies : les nuits sans fin d’Irène Jonas 
© Irène Jonas
Insomnies : les nuits sans fin d’Irène Jonas 
Photographe et sociologue, Irène Jonas n’a jamais renoncé à aucune de ses deux pratiques. Sans que l’une ne prenne le dessus sur l’autre...
19 septembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
InCadaqués : Sasha Mongin, lauréate du Premi Fotografia Femenina, au cœur de la 8e édition
© Sasha Mongin, lauréate du Premi Fotografia Femenina 2024
InCadaqués : Sasha Mongin, lauréate du Premi Fotografia Femenina, au cœur de la 8e édition
Du 3 au 13 octobre 2024, la 8e édition du festival InCadaqués présentera 25 expositions dans la baie méditerranéenne. Parmi celles-ci, le...
18 septembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Uncensored : les corps libres et non-censurés d'AdeY
© AdeY
Uncensored : les corps libres et non-censurés d’AdeY
La Little Black Gallery de Berlin accueille UNCENSORED, une exposition de l’artiste anglo-suédois AdeY. Personne ne sait exactement qui...
17 septembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Contenu sensible
Les coups de cœur #510 : Mirielle A. Rohr et Linda Zhengová
© Linda Zhengová. Maybe, Happiness Is…
Les coups de cœur #510 : Mirielle A. Rohr et Linda Zhengová
Dans nos coups de cœur de la semaine, Mirielle A. Rohr et Linda Zhengová composent les étapes d’une vie en mutation. Leurs images...
16 septembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Mentorat des Filles de la Photo #3 : cinq lauréates engagées
Les autres filles du raï © Lydia Saidi
Mentorat des Filles de la Photo #3 : cinq lauréates engagées
Les Filles de la Photo ont dévoilé les cinq lauréates de leur Mentorat 2024. Lumière sur Soum Eveline Bonkoungou, Claire Delfino, Safia...
19 septembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Insomnies : les nuits sans fin d’Irène Jonas 
© Irène Jonas
Insomnies : les nuits sans fin d’Irène Jonas 
Photographe et sociologue, Irène Jonas n’a jamais renoncé à aucune de ses deux pratiques. Sans que l’une ne prenne le dessus sur l’autre...
19 septembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Nhu Xuan Hua et Vimala Pons : (anti)-héroïnes refuge
© Nhu Xuan Hua et Vimala Pons
Nhu Xuan Hua et Vimala Pons : (anti)-héroïnes refuge
Dans Heaven and Hell, Nhu Xuan Hua et Vimala Pons composent des tableaux mettant en scène des personnages inspirés par des héroïnes...
19 septembre 2024   •  
Écrit par Gwénaëlle Fliti
Légendes et extractivisme : Maximiliano Tineo et le mythe du roi blanc
© Maximiliano Tineo
Légendes et extractivisme : Maximiliano Tineo et le mythe du roi blanc
Dans El Rey Blanco, Maximiliano Tineo entremêle mythes, légendes et faits historiques pour évoquer la situation au sein du triangle du...
18 septembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet