C’est dans la cour intime de l’Institute for Ideas and Imagination à Paris que la Fondation Louis Roederer a remis jeudi soir, le Prix Thinking Sustainability à Ana Elisa Sotelo pour sa série Portraits of the Multiverse. Ce nouveau Prix pensé par Audrey Bazin, directrice artistique de la maison champenoise, récompense un·e photographe travaillant sur des sujets qui s’articulent autour du développement durable.
Deux ans de travaux. Une réflexion singulière sur l’environnement. Et une volonté de promouvoir la création artistique. Voici ce qui a motivé la Fondation Louis Roederer à initier son nouveau Prix photographique Thinking Sustainability (Penser durablement, en français). « On voulait proposer un programme réfléchi en deux volets, détaille Audrey Bazin. Un premier chapitre est axé sur la recherche scientifique. Il est composé de textes écrits par des personnalités académiques émergentes ou confirmées pour mieux comprendre les enjeux du développement durable. » Les différents essais ratissent un large panel de thématiques liées à l’écologie, du Japon au Sénégal, en passant par l’Alaska – pollution en mer profonde, architecture durable, droit climatique, consommation, etc. « Puis un second chapitre “Prix Photo” a été conçu de manière singulière », ajoute la directrice artistique. Dans une optique de révéler les spécificités environnementales propres à chaque territoire, la Fondation a décidé de s’en remettre à 18 rapporteurices internationaux·ales pour proposer une sélection de photographes ancré·es dans le même continent qu’elles·eux. Parmi 54 candidatures, les membres du jury ont choisi six finalistes – Irene Barlian pour l’Asie, Adam Ferguson pour l’Océanie, Maya Goded pour l’Amérique du Nord, Pierrot Men pour l’Afrique, Mónica de Miranda pour l’Europe et Ana Elisa Sotelo pour l’Amérique du Sud. Leurs regards photographiques appellent à la curiosité, participent à une analyse approfondie des enjeux écologiques qui jalonnent notre Terre et proposent des clés de compréhension propres à chaque échelle et ouvrent les portes du changement au niveau mondial.
Broder les liens entre l’Amazonie et ses peuples
C’est Ana Elisa Sotelo qui remporte la première édition du Prix Thinking Sustainability, dans le Reid Hall de l’Institute for Ideas and Imagination à Paris, avec une dotation de 8000 euros et l’élaboration d’un texte par un·e historien·ne de l’art d’Amérique latine. Dans la salle faite de bois, plongée dans une pénombre confidentielle, l’émotion de la photographe est palpable. Sa série Portraits of the Multiverse est coréalisée avec la brodeuse péruvienne et maîtresse de l’art Shipibo Konibo « Kené » (motifs ou dessins ayant un lien fort avec la nature et la spiritualité, ndlr), Sadith Silvano. Ensemble, elles tissent les liens existants entre la forêt amazonienne, les peuples qui l’habitent et leurs pratiques ancestrales. Cette quête artistique commence lorsque l’autrice se fracture la colonne vertébrale en 2016 et découvre des pouvoirs de guérison et la médecine traditionnelle du Pérou. « J’ai tenté de répondre aux questions qui entourent ces notions pendant que j’étais en Amazonie, mais je ne pouvais pas le comprendre seule. Je devais faire ce travail visuel en collaboration avec Sadith Silvano » confie Ana Elisa Sotelo. Ses images reflètent la déforestation massive d’une grande partie de l’Amazonie, provoquant l’extinction de la faune et la flore, mais aussi des changements culturels profonds des populations des forêts. « Dans un paysage où territoire et culture sont inextricablement liés, la disparition de la jungle entraîne la disparition de ses esprits et de son âme », ajoute-t-elle. C’est alors qu’intervient la brodeuse. Les dialogues invisibles entre la nature et ses résident·es se dessinent à l’aiguille et aux fils de couleurs sur les décors abîmés de l’Amazonie, capturés par la lauréate. Ils dévoilent ainsi l’urgence à préserver les écosystèmes et les cultures qui y vivent. « J’espère que ces œuvres inviteront à de nouvelles perspectives de pensées » conclut l’artiste.