La Génération Z dans l’Empire du Milieu

14 janvier 2021   •  
Écrit par Julien Hory
La Génération Z dans l'Empire du Milieu

Après GIRLS, un travail personnel sur les femmes de sa génération, Luo Yang revient avec une nouvelle série au regard plus actuel. Avec YOUTH, la photographe sonde une jeunesse chinoise, celle née avec le dernier millénaire. Portrait de la Génération Z.

Les générations se suivent et ne se ressemblent pas. Il en est ainsi dans nombre de sociétés contemporaines. Et la société chinoise ne fait pas exception. Chacune de ces générations a subi l’influence des grands changements de leurs époques et des soubresauts de l’histoire. Ces particularités, théorisées depuis longtemps par les sciences humaines, la photographe chinoise Luo Yang les saisit dans ses portraits depuis qu’elle pratique le 8e art. « Pendant que j’étudiais le design graphique à l’université, se souvient-elle, j’ai emprunté l’appareil photo compact d’un ami et j’ai commencé à prendre des images des personnes autour de moi. Je voulais rendre des choses telles qu’elles étaient dans mon environnement. En fait, tout cela a commencé de façon très naturelle.» En mettant ses images en ligne, la photographe rencontre son public. Petit à petit, son premier projet photographique émerge : GIRLS.

Exposé pour la première fois en France en 2019, à la Maison Dentsu, ce projet personnel et intime installe Lui Yang comme une figure de la contre-culture chinoise. « Il s’agit juste de femmes nées dans les années 1980 et qui sont de la même génération que moi. À mes yeux, ce sont des personnes normales, mes amies », confie-t-elle. À travers ces portraits, elle nous fait découvrir une Chine loin des stéréotypes conformistes de l’imagerie populaire. Après une dizaine d’années à construire ce projet et à le présenter dans le monde entier. La photographe ressent le besoin d’y mettre un terme et décide de se tourner vers les autres générations. « Au bout d’un moment, j’ai senti que ce travail sur ma génération et mon adolescence avait atteint son but, explique-elle. J’ai voulu m’intéresser à cette jeunesse née à la fin des années 1990 et qui m’apparaît si différente de mon propre milieu. C’est comme cela que j’ai décidé de commencer YOUTH. »  Si GIRLS se veut une transposition de sa propre expérience de l’adolescence, Luo Yang se positionne dans ce second chapitre comme une observatrice en quête d’objectivité.

© Luo Yang© Luo Yang

Une ambiguïté assumée

Pourtant, cette nouvelle série ne cherche pas à documenter la jeune génération chinoise. Luo Yang ne s’inscrit pas ici dans une démarche sociologique ou anthropologique. « Les jeunes gens qui apparaissent dans ma nouvelle série reflètent le groupe le plus avant-gardiste. Celui né dans les années 1990 et 2000, explique-t-elle. Ce qui m’a intéressé, c’est de capturer des moments de vie authentiques ou des façons d’être. » Chaque image nous dit quelque chose de son sujet. Une population qui a appris à s’exprimer à travers des codes vestimentaires, des attitudes et qui joue beaucoup avec les apparences. Lorsqu’on lui demande en quoi ces filles et ces garçons sont si différents de leurs aînés, la photographe souligne l’individualisme qui s’est immiscé dans la jeunesse de son pays. « Ils sont plus libres, plus fidèles à eux-mêmes, pense Luo Yang. Ils sont également très impatients, pressés de s’affirmer et aiment se montrer. C’est une génération confiante, égocentrique et bigarrée. »

Dans nombre des photographies qui constituent YOUTH, les personnages regardent droit dans l’objectif, semblant presque défier les spectateurs. Une assurance qui sonne comme l’affirmation d’une indépendance revendiquée. Il se dégage des corps une ambiguïté assumée, en rupture avec une idée très traditionaliste de la Chine. Plus au fait des évolutions du monde, cette jeunesse transcende les styles, déploie ses envies et s’affranchit des conventions. C’est aussi l’âge de l’insouciance et de la satisfaction immédiate que Luo Yang a voulu montrer. «Cette génération qui a grandi dans une société plus riche et en développement rapide veut profiter de l’instant présent, constate-t-elle. Ils sont dans le carpe diem. » Les enfants de l’Empire du Milieu sont au centre des mouvances et se les sont appropriées sans complexe. Cette jeunesse s’exprime ainsi et construit les adultes de demain.

© Luo Yang

Le témoignage d’une liberté nouvelle

Toute la modernité et la tendresse qui se dégagent des portraits de Luo Yang ont certainement contribué à la notoriété de la photographe. En 2018, la BBC l’inclut même dans la liste des 200 personnalités les plus influentes du monde. Une attention que l’artiste a du mal à comprendre. Elle s’en était d’ailleurs expliquée au micro de RFI : « Je pense que je n’ai pas trop d’influence. Mais peut-être que les gens pensent que mes œuvres et moi, nous en avons. En fait, je ne me soucie pas trop de l’influence que je pourrais avoir. D’un autre côté, il est bien que les gens se demandent qui je suis. Après, ils sont curieux de voir mes photos. » On comprend ainsi que les images qu’elle propose sont dégagées de tout message, mais qu’elles sont plus le témoignage d’une liberté nouvelle, loin des clichés souvent relayés dans les médias internationaux.

Elles sont aussi les images des mutations amorcées par la Génération Z. Rompue aux moyens de communication digitaux, elle affiche des individualités réelles ou fantasmées via les réseaux sociaux. Composant avec des technologies qui isolent autant qu’elles rassemblent, cette génération est au début d’un futur de plus en plus difficile à envisager. Il leur appartient de l’inventer et de l’écrire. Une rupture que les générations précédentes ont peut-être du mal à comprendre. « Il y a des similitudes dans toutes les trajectoires de vie, quelles que soient les époques (le travail, la vie de couple, la parenté…). Mais, en comparaison, ces jeunes-là ont l’opportunité de vivre comme ils l’entendent. Ils disposent de moyens leur permettant de répondre davantage à leurs souhaits, conclut Luo Yang. » Tout s’accélère et ils le savent. Pour eux, demain est de moins en moins loin.

© Luo Yang

© Luo Yang© Luo Yang
© Luo Yang© Luo Yang
© Luo Yang© Luo Yang

© Luo Yang

© Luo Yang

Explorez
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
© Karim Kal
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
Le photographe franco-algérien Karim Kal a remporté le prix HCB 2023 pour son projet Haute Kabylie. Son exposition Mons Ferratus sera...
20 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
On Mass Hysteria : étude d'une résistance physique contre l'oppression
CASE PIECE #1 CHALCO, (Case 1, Mexico, On Mass Hysteria), 2023, Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris © Laia Abril
On Mass Hysteria : étude d’une résistance physique contre l’oppression
À travers l’exposition On Mass Hysteria - Une histoire de la misogynie, présentée au Bal jusqu’au 18 mai 2025, l’artiste catalane...
19 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Tisser des liens, capter des mondes : le regard de Noémie de Bellaigue
© Noémie de Bellaigue
Tisser des liens, capter des mondes : le regard de Noémie de Bellaigue
Photographe et journaliste, Noémie de Bellaigue capture des récits intimes à travers ses images, tissant des liens avec celles et ceux...
15 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Faits divers : savoir mener l’enquête
© Claude Closky, Soucoupe volante, rue Pierre Dupont (6), 1996.
Faits divers : savoir mener l’enquête
Au Mac Val, à Vitry-sur-Seine (94), l’exposition collective Faits divers – Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse...
13 février 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
Kara Hayward dans Moonrise Kingdom (2012), image tirée du film © DR
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
L'univers de Wes Anderson s'apparente à une galerie d'images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
© Aletheia Casey
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
À travers A Lost Place, Aletheia Casey matérialise des souvenirs traumatiques avec émotion. Résultant de cinq années de travail...
21 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Javier Ruiz au rythme de Chungking
© Javier Ruiz
Javier Ruiz au rythme de Chungking
Avec sa série Hong Kong, Javier Ruiz dresse le portrait d’une ville faite d’oxymores. Naviguant à travers le Chungking Mansions et les...
21 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
© Karim Kal
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
Le photographe franco-algérien Karim Kal a remporté le prix HCB 2023 pour son projet Haute Kabylie. Son exposition Mons Ferratus sera...
20 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina