Après GIRLS, un travail personnel sur les femmes de sa génération, Luo Yang revient avec une nouvelle série au regard plus actuel. Avec YOUTH, la photographe sonde une jeunesse chinoise, celle née avec le dernier millénaire. Portrait de la Génération Z.
Les générations se suivent et ne se ressemblent pas. Il en est ainsi dans nombre de sociétés contemporaines. Et la société chinoise ne fait pas exception. Chacune de ces générations a subi l’influence des grands changements de leurs époques et des soubresauts de l’histoire. Ces particularités, théorisées depuis longtemps par les sciences humaines, la photographe chinoise Luo Yang les saisit dans ses portraits depuis qu’elle pratique le 8e art. « Pendant que j’étudiais le design graphique à l’université, se souvient-elle, j’ai emprunté l’appareil photo compact d’un ami et j’ai commencé à prendre des images des personnes autour de moi. Je voulais rendre des choses telles qu’elles étaient dans mon environnement. En fait, tout cela a commencé de façon très naturelle.» En mettant ses images en ligne, la photographe rencontre son public. Petit à petit, son premier projet photographique émerge : GIRLS.
Exposé pour la première fois en France en 2019, à la Maison Dentsu, ce projet personnel et intime installe Lui Yang comme une figure de la contre-culture chinoise. « Il s’agit juste de femmes nées dans les années 1980 et qui sont de la même génération que moi. À mes yeux, ce sont des personnes normales, mes amies », confie-t-elle. À travers ces portraits, elle nous fait découvrir une Chine loin des stéréotypes conformistes de l’imagerie populaire. Après une dizaine d’années à construire ce projet et à le présenter dans le monde entier. La photographe ressent le besoin d’y mettre un terme et décide de se tourner vers les autres générations. « Au bout d’un moment, j’ai senti que ce travail sur ma génération et mon adolescence avait atteint son but, explique-elle. J’ai voulu m’intéresser à cette jeunesse née à la fin des années 1990 et qui m’apparaît si différente de mon propre milieu. C’est comme cela que j’ai décidé de commencer YOUTH. » Si GIRLS se veut une transposition de sa propre expérience de l’adolescence, Luo Yang se positionne dans ce second chapitre comme une observatrice en quête d’objectivité.
Une ambiguïté assumée
Pourtant, cette nouvelle série ne cherche pas à documenter la jeune génération chinoise. Luo Yang ne s’inscrit pas ici dans une démarche sociologique ou anthropologique. « Les jeunes gens qui apparaissent dans ma nouvelle série reflètent le groupe le plus avant-gardiste. Celui né dans les années 1990 et 2000, explique-t-elle. Ce qui m’a intéressé, c’est de capturer des moments de vie authentiques ou des façons d’être. » Chaque image nous dit quelque chose de son sujet. Une population qui a appris à s’exprimer à travers des codes vestimentaires, des attitudes et qui joue beaucoup avec les apparences. Lorsqu’on lui demande en quoi ces filles et ces garçons sont si différents de leurs aînés, la photographe souligne l’individualisme qui s’est immiscé dans la jeunesse de son pays. « Ils sont plus libres, plus fidèles à eux-mêmes, pense Luo Yang. Ils sont également très impatients, pressés de s’affirmer et aiment se montrer. C’est une génération confiante, égocentrique et bigarrée. »
Dans nombre des photographies qui constituent YOUTH, les personnages regardent droit dans l’objectif, semblant presque défier les spectateurs. Une assurance qui sonne comme l’affirmation d’une indépendance revendiquée. Il se dégage des corps une ambiguïté assumée, en rupture avec une idée très traditionaliste de la Chine. Plus au fait des évolutions du monde, cette jeunesse transcende les styles, déploie ses envies et s’affranchit des conventions. C’est aussi l’âge de l’insouciance et de la satisfaction immédiate que Luo Yang a voulu montrer. «Cette génération qui a grandi dans une société plus riche et en développement rapide veut profiter de l’instant présent, constate-t-elle. Ils sont dans le carpe diem. » Les enfants de l’Empire du Milieu sont au centre des mouvances et se les sont appropriées sans complexe. Cette jeunesse s’exprime ainsi et construit les adultes de demain.
Le témoignage d’une liberté nouvelle
Toute la modernité et la tendresse qui se dégagent des portraits de Luo Yang ont certainement contribué à la notoriété de la photographe. En 2018, la BBC l’inclut même dans la liste des 200 personnalités les plus influentes du monde. Une attention que l’artiste a du mal à comprendre. Elle s’en était d’ailleurs expliquée au micro de RFI : « Je pense que je n’ai pas trop d’influence. Mais peut-être que les gens pensent que mes œuvres et moi, nous en avons. En fait, je ne me soucie pas trop de l’influence que je pourrais avoir. D’un autre côté, il est bien que les gens se demandent qui je suis. Après, ils sont curieux de voir mes photos. » On comprend ainsi que les images qu’elle propose sont dégagées de tout message, mais qu’elles sont plus le témoignage d’une liberté nouvelle, loin des clichés souvent relayés dans les médias internationaux.
Elles sont aussi les images des mutations amorcées par la Génération Z. Rompue aux moyens de communication digitaux, elle affiche des individualités réelles ou fantasmées via les réseaux sociaux. Composant avec des technologies qui isolent autant qu’elles rassemblent, cette génération est au début d’un futur de plus en plus difficile à envisager. Il leur appartient de l’inventer et de l’écrire. Une rupture que les générations précédentes ont peut-être du mal à comprendre. « Il y a des similitudes dans toutes les trajectoires de vie, quelles que soient les époques (le travail, la vie de couple, la parenté…). Mais, en comparaison, ces jeunes-là ont l’opportunité de vivre comme ils l’entendent. Ils disposent de moyens leur permettant de répondre davantage à leurs souhaits, conclut Luo Yang. » Tout s’accélère et ils le savent. Pour eux, demain est de moins en moins loin.
© Luo Yang