Fisheye : Pourquoi est-ce que tu es devenue photographe ?
Marie Moroni
: J’ai toujours travaillé autour de l’image. Je suis scénographe depuis quinze ans. J’ai aussi fait des études d’art appliqué, avec une spécialité en photographie. Pendant longtemps, la photo n’était pas une priorité. Mais il y a 3 ans, j’ai pris conscience que c’est le moyen d’expression qui me fait le plus vibrer, dans lequel je me sens la plus honnête. Quand je fais de la photo, je suis dans ma bulle. Ce qui n’était plus le cas en scénographie. J’ai recommencé à photographier. Puis j’ai fait un workshop avec Claudine Doury. Elle m’a beaucoup encouragé !
Puis tu es partie au Rwanda, où tu as réalisé ta première série, Ibaba.
Oui, c’était il y a 2 ans. Je suis partie au Rwanda pour réaliser un reportage de commande. J’ai eu un coup de cœur pour ces brodeuses de Rutango. Je décide de faire des portraits d’elles, alors que ce n’est pas du tout dans mes habitudes. Ça m’a paru évident de passer du temps avec elles et de les prendre en photo.
Ibaba et Faros – que tu as réalisée pendant ta résidence à Niort – sont deux travaux différents. Alors, est-ce que tu as des sujets de prédilection ?
L’expérience au Rwanda m’a ouverte à une approche très humaine et plus intime. Faros en revanche est une série beaucoup plus personnelle. Pour ce travail, c’est moi qui suis allée vers les gens. J’ai essayé de souligner ces parts d’ombre et de lumière que tout le monde a en soi – ce que j’avais perçu chez les brodeuses, sans l’exploiter autant. Aujourd’hui si j’ai un sujet de prédilection, c’est bien « l ‘autre ». J’aime les gens. Ils me touchent. Dans Faros, il est aussi question de mémoire, de souvenir, dans lesquels je me retrouve complètement. Tout le monde partage des souvenirs en commun. Qui n’a pas collectionné de coquillages, ou jouer sur les branches d’un arbre fétiche ?
La photographie, c’est donc un moyen de te retrouver dans les gens que tu rencontres ?
Je fonctionne de manière très intuitive. Le sentiment de partager quelque chose, je le découvre après en fait, comme une évidence. Je ne recherche pas mes souvenirs, je les retrouve en eux. Ce n’est pas une quête. C’est une photographie qui est devenue assez vitale. Je ne suis pas une photographe compulsive, j’essaye au contraire de prendre le temps de rencontrer, de connaître. D’ailleurs je pense que Faros est le commencement d’un travail beaucoup plus large que je compte bien poursuivre.
Ce qui est remarquable dans ce travail, c’est la lumière qui crée cette ambiance si particulière – et qui existe dans une moindre mesure dans Ibaba. C’est aussi une intuition, la lumière ?
Déjà, ça me touche la lumière. Quand j’étais étudiante, mon livre de prédilection c’était Éloge de l’ombre, de Tanizaki (ndlr, un essai sur l’esthétique japonaise paru en 1933). La lumière impacte beaucoup l’environnement. Au Rwanda par exemple, la lumière est très crue, très blanche. Elle manque de subtilité. Quand nous avons débuté les prises de vue avec les brodeuses, nous nous sommes installées dans un hangar qui n’était éclairé que par une fenêtre. Elles se plaçaient dans le rayon, et je déclenchais. Pour Faros, j’ai travaillé en pleine nuit uniquement avec une lampe tempête, autour de laquelle les modèles se déplaçaient. Un puriste serait scandalisé je pense. Je n’ai pas de procédé photographique ; je ne suis pas non plus une technicienne, ça ne m’intéresse pas. Donc je fais de la cuisine (rires) ! Je ne cherche pas à faire le portrait parfait. La lumière ce n’est pas pour moi une question d’esthétisme, c’est un échange avec le modèle ; une recherche pour révéler ce que je sens de plus profond et de plus vrai chez la personne.
Est-ce que ça a été facile de produire pendant la résidence à Niort ?
Je savais que je voulais travailler de nuit, avec ce dispositif. Et lorsque la résidence a commencé, le mot d’ordre c’était d’expérimenter à fonds. Du coup je me suis mise à produire tout de suite. Il faut savoir que nous, les photographes, étions dans un groupe formidable. J’ai vite senti une osmose entre les gens. Je me suis donc obligée à sortir rapidement. Je travaillais le soir… Donc j’étais absente aux repas. Et si je ne prenais pas cette habitude dés les premiers jours, j’aurais été incapable de m’extraire de cette ambiance formidable. Le premier jour j’ai démarré par des tests à la Villa Pérochon, pour voir si le dispositif tenait la route. Et je me suis découragée car les résultats ne correspondaient pas à mes attentes.
Qu’est-ce qui t’as remis sur les rails ?
, qui était la marraine des résidents cette année. C’est une artiste tellement bienveillante, impliquée et généreuse ! On a regardé ensemble les premières images, on a réfléchi. Grâce à elle je me suis rendue compte que je ne plaçais pas la lumière assez près des modèles – car le rayonnement d’une lampe tempête est très court. Le lendemain je partais en prise de vue.
Comment tu as rencontré ou choisi tes modèles ?
Au début de la résidence, on a eu une réunion avec les bénévoles de l’association Pour l’Instant (ndlr, à l’origine des Rencontres de la jeune photographie internationale) et des gens de la ville. Puis chacun des huit résidents à présenter son projet. C’est là que j’ai fais mes premières rencontres. Par la suite, c’était vraiment le hasard ! Après une séance photo dans le marais poitevin, j’explique à mon modèle que j’ai envie de photographier aussi des gueules, des gens qui ont toute une vie derrière eux et qui la porte sur leur visage ! Il me parle d’une connaissance à lui. C’était Gérard, ce vieil homme à la barbe blanche. Au total j’ai 14 portraits, et une dizaine de natures mortes associées à chacun d’eux.
Les séances duraient combien de temps ?
Plusieurs heures. Je ne savais jamais à quelle heure je rentrerais. J’étais comme habitée ! C’est un procédé très particulier aussi, de photographier à la lampe tempête. Très magique. Le rapport photographe-modèle est très différent aussi. Déjà les modèles ne me voyaient pas, car la lampe les éblouissait. Finalement ils ne cherchaient pas à me regarder. Dans cette lumière, ils étaient vraiment plongés en eux-mêmes.
Au final, quel souvenir gardes-tu de cette résidence ?
C’est ma plus belle aventure artistique et humaine.
Et si tu devais définir en trois mots ta série Faros, lesquels ce seraient ?
Imtime. Souvenir. Ombre.