Sujets insolites ou tendances, faites un break avec notre curiosité de la semaine. Qu’est-ce qu’un corps parfait ? En s’incrustant dans des œuvres d’art, la photographe mexicaine Carol Espíndola s’amuse à déconstruire nos idéaux.
Photographe, éducatrice, auteure d’essais littéraires inspirés par la culture contemporaine… Carol Espíndola ne cesse d’interroger la place de la femme dans notre monde, sa relation au corps, et les stéréotypes qu’elle doit combattre au quotidien. C’est en 2001 que l’artiste mexicaine découvre le 8e art. « J’ai très peu de photos de mon enfance. Lorsque mes filles sont nées, j’ai commencé à utiliser un boîtier pour documenter leur croissance », précise-t-elle. Rapidement remarquées, ses créations lui permettent de remporter un concours local. « Les critiques ont fusé : j’ai entendu des personnes dire que ces clichés devaient avoir été réalisés par mon mari », confie-t-elle.
Provocante et engagée, Carol Espíndola s’attache depuis à représenter le corps féminin vu par « le regard patriarcal qui nous gouverne ». Combattant la notion de beauté imposée par notre société, l’auteure souhaite montrer un corps dénué de toute connotation sexuelle. « Pour y parvenir, je repousse les limites du médium, et je déconstruis le terme « photographie », ajoute-t-elle. Je m’approprie des tableaux peints par des hommes en les modifiant suffisamment pour changer leur sens original – tout en conservant une dimension humoristique. »
La quête d’une silhouette parfaite
Nue, la photographe se livre et s’incruste dans les peintures des grands maîtres. Tour à tour, elle devient Vénus, Aphrodite, Ève, Phryné (célèbre courtisane grecque), ou encore Lady Godiva (dame anglo-saxonne du XIe siècle qui aurait traversé les rues de Coventry à cheval et dévêtue pour convaincre son époux de diminuer les impôts qu’il prélevait aux habitants, NDLR). Symbole de résilience, ces figures sont représentées dans l’art avec un « corps parfait ». « Lorsque j’ai commencé à construire La Atlántida, tout me paraissait insurmontable : je n’arrivais pas à me faire connaître en dehors de mon lieu de naissance – Tlaxcala, au Mexique – je ne remportais aucun succès en lecture de portfolio et j’avais pris du poids. En voyant mes filles grandir, j’ai pris conscience que mon propre corps vieillissait lui aussi. J’ai alors tourné l’objectif vers moi – il y a, dans la nudité, une certaine forme d’honnêteté. Cette série d’autoportraits me donne du pouvoir », raconte la photographe.
Amusante, La Atlántida prend la forme d’une quête : celle d’une silhouette parfaite. Inspirée par l’Atlantide, cité mythique, et la notion d’utopie inventée par Thomas More, l’artiste compare la recherche d’un monde paradisiaque au désir des femmes de ressembler à un idéal inaccessible. Avec autodérision, Carol Espíndola efface des œuvres picturales ces corps autrefois jugés sublimes pour faire l’éloge de la libération. Pièce maîtresse de ces tableaux revisités, elle invite le spectateur à admirer ses propres formes – marquées par le temps, imparfaites, mais avant tout : glorieuses.
© Carol Espíndola