Le projet Lines and Lineage de Tomas van Houtryve illustre à travers des portraits de descendants une période méconnue de l’histoire américaine. Celle où le Mexique couvrait tout l’ouest du territoire actuel des États-Unis. Un véritable travail de reconstitution historique face au mythe du Far West. Cet article, rédigé par Michaël Naulin, est à retrouver dans notre dernier numéro.
À première vue, ces clichés semblent exhumés d’un vieil album de famille. Photographies d’un autre temps aux noir et blanc intenses, balafrés d’imperfections. Des visages marqués, couplés à des paysages grandioses. « Je veux qu’au premier regard, comme un trompe-l’œil, les gens pensent que c’est une photo historique », nous explique Tomas van Houtryve. L’illusion est totale.
Photojournaliste, artiste, membre de l’agence VII, Tomas van Houtryve s’est donné pour mission d’illustrer, avec les moyens de l’époque, une période de l’Amérique du Nord tombée dans l’oubli. Avant 1848 et la fin de la guerre américano-mexicaine, les frontières du Mexique s’étendent jusqu’à la Californie actuelle. Tout un héritage et une culture rayés de la carte par la mythologie de la conquête de l’Ouest. Après plusieurs travaux sur le thème des frontières, notamment en Corée du Nord, son projet Lines and Lineage dresse le portrait des descendants d’une période charnière pourtant absente des livres scolaires aux États-Unis. Un travail récompensé l’an dernier par le prix Roger Pic, finaliste du prix Leica, et particulièrement d’actualité depuis les discours anti-hispaniques de Donald Trump et l’érection d’un mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.
Ruée vers l’or et droits de l’homme
Né en 1975, ce Belgo-Américain installé en France depuis 2006 a été lui-même témoin de ce trou noir historique : « J’ai grandi en Californie. La façon dont l’histoire est enseignée là-bas commence avec la ruée vers l’or en 1849. Ils ne parlent jamais de ce passé mexicain. » Lorsque Tomas van Houtryve commence ses recherches en 2016, il découvre alors une autre réalité : « Au niveau des droits de l’homme, des droits civiques et des libertés, les Mexicains étaient beaucoup plus avancés », détaille-t-il. La constitution mexicaine de 1824 donne par exemple aux Amérindiens la citoyenneté et le droit de vote, cent ans avant les États-Unis, et l’esclavage est aboli au Mexique dès 1829. Son projet part aussi d’un constat : il n’existe aucune photographie de cette période mexicaine. Rendu public en France dès 1839, le daguerréotype n’arrivera que plus tard à l’ouest du continent américain. Et la symbolique du western s’imposera très vite, notamment dans le cinéma d’Hollywood. « Le pouvoir de l’image est très fort. L’idée du Far West version western a complètement écrasé la vraie histoire de cette région », déplore Tomas van Houtryve.
Avec la volonté de reconstituer en image cette page manquante et de briser les stéréotypes de l’identité américaine, le photographe achète à Paris un appareil du XIXe siècle et apprend le procédé du collodion sur plaque de verre. Technique particulièrement difficile à maîtriser : « Quand il fait chaud, les plaques sèchent très vite. On a dix minutes en situation normale pour appliquer la chimie, prendre la photo et développer. Quand il fait 40°C, tu as trois minutes. Beaucoup de plaques sont d’ailleurs imparfaites à cause de ça. » Imperfections qui donnent en même temps tout le charme de ces photos. Grâce à un minutieux travail de recherche, et avec l’aide d’un généalogiste, Tomas van Houtryve parvient à retrouver une cinquantaine de personnes dont les ancêtres hispaniques ou amérindiens se trouvaient dans cette région avant l’arrivée des Anglo-Saxons. De la Californie au Texas, en passant par le Colorado, il parcourt durant deux ans l’ancienne frontière mexicaine, aidé d’une carte de 1839.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #40, en kiosque et disponible ici.
Lines and Lineage, Ed. Radius Books, 55$, 160pages.
© Tomas van Houtryve