Placée sous le signe de l’éclectisme, la 26e édition de PhotoEspaña donne à voir un large panel de travaux photographiques traversant les années, les frontières et les thèmes. L’art contemporain côtoie des approches environnementales terriblement d’actualité et la question de genre s’impose avec brio. Un festival foisonnant riche de réflexions sur le monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain à découvrir jusqu’au 3 septembre à Madrid.
Le 31 mai dernier, au cœur du luxuriant Jardin botanique royal de Madrid, le festival PhotoEspaña a inauguré sa 26e édition. Au total, 96 expositions présentant les clichés de 303 photographes et artistes visuel·les fleurissent cet évènement emblématique qui prend place dans divers lieux culturels de la capitale espagnole. « Avec plus de vingt-cinq ans d’histoire, PhotoEspaña a le privilège d’être le témoin de l’évolution de la photographie et de son rôle dans la société », constate Claude Bussac, directrice du festival qui a mis fin à ses fonctions ce 9 juin. Sous le prisme d’une thématique en triptyque – l’art, l’environnement et le genre – il interroge notre monde à travers le temps. Une programmation variée abordant « trois thèmes étroitement liés qui suscitent le dialogue et encouragent les débats », selon les mots de la directrice.
Shifting Sands – WAHA © Seif Kousmate
Les femmes dans le 8e art : du 19e siècle à aujourd’hui
À l’instar des précédentes éditions, PhotoEspaña poursuit son hommage aux femmes photographes en leur accordant une visibilité amplement méritée. Cette année, la programmation fait la part belle aux questions de genre et souligne leur héritage ancien. Pour cette occasion, les somptueuses cimaises du musée national du Romantisme présentent Deconstructing Gender, une fine sélection d’images d’Alice Austen sous le commissariat de Maíra Villela. Parmi les pionnières de la photographie aux États-Unis, elle impose son regard sur le genre en s’éloignant des stéréotypes établis dans la société victorienne à la fin du 19e siècle. Dans cette exposition, la commissaire donne à voir l’environnement intime de l’artiste et le sport féminin qu’elle se plaisait à capturer. En mettant ses amies en scène, notamment sa compagne, Alice Austen dresse le portrait de femmes qui, comme elle, se sont évertuées à vivre librement leur genre et leur sexualité. Une autre facette de cette période se dévoile au Círculo de Bellas Artes. Like a Whirlwind se compose d’images de Marie Høeg et Bolette Berg dénichées dans des boites de négatifs portant la mention « privé ». Ces autoportraits cachés signent désormais leur renommée internationale. En s’amusant avec les rôles et les identités, les deux artistes norvégiennes qui vivaient ensemble mettent en avant une vision novatrice, pour cette époque, de la question de genre.
Dans le même lieu que l’exposition de cet attachant duo, trois artistes contemporaines interrogent la présence de la femme dans l’art. Précurseuse dans le domaine, ORLAN déploie une partie essentielle de ses créations pluridisciplinaires. De ses autoportraits en noir et blanc à ses autohybridations, la Française ne cesse de créer et d’affirmer son point de vue féministe en encourageant les femmes à sortir de l’ombre. Puis, l’univers de la performeuse serbe Marina Abramović se révèle. Elle explore avec une importante franchise visuelle les limites du corps et de l’esprit, mais surtout, l’obsession collective pour la mort. Enfin, la nature prend le dessus dans les travaux conceptuels de Fina Miralles. Dans des mises en scène troublantes et percutantes, l’artiste espagnole interroge le devenir environnemental et animal.
À d. trois facettes de Marie Høeg © Berg & Høeg – Collection of Preus Museum, à g. © Fina Miralles – collection MACBA
L’environnement et la photographie de rue sous les projecteurs
Pour le festival, l’environnement prend une place prépondérante dans notre quotidien et incarne une question fondamentale qui doit être posée par l’art ainsi que la société. Dans le cadre de cette 26e édition, plusieurs expositions mettent en exergue cette thématique et abordent le sujet de la préservation. Entre autres, le musée ICO consacre une importante rétrospective, Bleda y Rosa, de l’œuvre remarquable de María Bleda et de José María Rosa. Sous la forme de grandes installations vidéos, les paysages et architectures des deux artistes originaires d’Espagne se succèdent à hauteur des visiteurices. Nous nous retrouvons alors comme immiscé·es dans ces espaces d’histoire et de mémoire où le silence et la pureté règnent. De manière plus frappante, le défi d’un avenir durable s’illustre à la Casa Árabe. À travers le regard de cinq jeunes photographes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Shifting Sands met en lumière les facteurs perturbateurs de l’écologie dans le monde arabe. De l’instabilité politique à la déforestation en passant par l’urgence climatique, les artistes donnent une vision poétique tout en alertant sur la gravité de la situation.
Bien que les thématiques de cette édition soient variées, plusieurs expositions s’inscrivent dans une démarche identique : la photographie de rue. Au milieu des multiples œuvres de l’artiste espagnol Antoni Miralda, le cinéaste et conservateur Ignasi Duarte a découvert par hasard une collection de plus de 7500 négatifs en noir et blanc. Parmi eux, 116 clichés capturés entre 1961 et 1991 en Europe et aux États-Unis. Ils composent Cowboy’s Dream, une histoire visuelle qui nous embarque dans des rues d’un temps passé avec une pointe d’humour et d’absurdité. Il en est de même pour la grande exposition des images réalisées à Madrid au fil des décennies par Bernard Plossu ainsi que le travail graphique à la pointe de la modernité d’Anastasia Samoylova qui parcourt des métropoles du monde entier. Exposée à la fondation MAPFRE, la photographe installée à Miami offre un nouveau regard et contraste la rétrospective de Louis Stettner située au premier étage de ce lieu. Entre New York et Paris, dans le métro ou dans les rues, l’œil cinématographique de l’auteur américain disparu en 2016 a marqué l’histoire de la street photography.
D’une densité certaine, le festival prend également place dans diverses galeries madrilènes à l’occasion de la programmation OFF et dans différentes villes du pays. Une fois de plus, PhotoEspaña appréhende le médium à travers des angles multiples en gardant néanmoins un objectif unique : inviter le public à prendre position et aiguiser son regard sur le monde qui l’entoure.
© Bleda y Rosa, VEGAP Madrid 2023
À g. Femmes du Texas, 5e Avenue, New York © Louis Stettner Estate, à d. Times Square, New York 2021 © Anastasia Samoylova
Coney Island, 1979 © Antoni Miralda, VEGAP, Madrid 2023
© Marina Abramović, VEGAP, Madrid, 2023
© Alice Austen – Collection of Historic Richmond Town
Acte 2 – Les femmes qui pleurent sont en colère n°10 © ORLAN, Galerie Ceysson & Bénétière et Galería Rocio Santa Cruz, VEGAP, Madrid, 2023
Image d’ouverture : Coney Island, 1979 © Antoni Miralda, VEGAP, Madrid 2023